Le Crédit foncier communal d’Alsace et de Lorraine propose un crédit immobilier sur 35 ans. / Neville Mountford-Hoare/PhotoAlto / Photononstop / Neville Mountford-Hoare/PhotoAlto / Photononstop

Cela ne s’est pas encore traduit dans les chiffres, mais Philippe Taboret, directeur général adjoint de Cafpi, le courtier de prêts, s’inquiète : « On a cassé la dynamique du marché immobilier ». Mardi 10 avril, lors d’une conférence de presse, les dirigeants de Cafpi ont alerté le gouvernement sur une possible crise de l’accession à la propriété. D’ores et déjà, ils observent les effets au quotidien de l’arrêt des aides APL (aide personnalisée au logement) dans le neuf et du recadrage du PTZ (prêt à taux zéro).

« Sans primo-accédants, pas de dynamisme du marché », martèle Philippe Taboret qui observe un recul très net de cette population parmi les dossiers de demandes de prêts. Chez Cafpi, leur proportion était en hausse constante jusqu’à l’année dernière. « Sur le premier trimestre, elle a baissé de 15 %, passant de 60 % en décembre à 45 % en mars 2018 », indique le courtier.

Tournant

Ce phénomène serait d’autant plus préoccupant que le marché immobilier est à un tournant. La période de taux d’intérêt très bas est en passe de se terminer. Alors que la moyenne des taux des crédits immobiliers était à 1,64 % au quatrième trimestre 2017, elle devrait se situer à 1,95 % à la fin 2018 et 2,25 % un an plus tard, selon les prévisions du cabinet Xerfi.

Rien de dramatique pour le marché de l’immobilier, surtout « qu’à court terme, la perspective de remontée des taux risque de précipiter les achats », pointe Alexandre Mirlicourtois, directeur de la conjoncture et de la prévision chez Xerfi. Cependant, à terme, cette hausse risque de grever fortement le pouvoir d’achat des emprunteurs. Une augmentation d’un point (de 1,60 % à 2,60 %) des taux des crédits immobiliers à 20 ans entraînerait une baisse de près de 9 % du montant total que l’on peut emprunter à montant d’échéance de remboursement identique.

Pas pire que jeter l’argent par les fenêtres

Aux taux actuels, il faut une vie entière d’épargne pour devenir propriétaire. « Pour que cette ambition demeure possible, il faut envisager un allongement de la durée des emprunts. Ce n’est pas pire que de jeter l’argent par les fenêtres quand on loue », juge Philippe Taboret. A montant d’échéance de remboursement identique – 1 000 euros hors assurances –, la capacité supplémentaire d’emprunt par rapport à ce que l’on peut obtenir lorsqu’on s’endette sur 20 ans est de 36 175 euros sur un prêt à 25 ans. Et elle grimpe à 72 369 euros lorsqu’on s’engage sur 35 ans ! Revers de la médaille, dans ce dernier cas, les intérêts du prêt s’envolent à 145 377 euros contre 34 746 euros pour un crédit sur 20 ans.

Un montant astronomique qu’il convient de relativiser selon Cafpi. « Un crédit immobilier n’a pas vocation d’aller à son terme, car il est généralement remboursé au bout de 9 à 10 ans. De plus, au niveau des taux actuels [2,55 % sans assurance sur 35 ans], l’opération est tout à fait raisonnable », juge Philippe Tabouret. Depuis quelques semaines, le courtier distribue un prêt du Crédit foncier communal d’Alsace et de Lorraine sur 35 ans, tandis que les propositions pour emprunter sur 30 ans se multipliraient.

Déjà, au milieu des années 2000, le courtier avait été le premier à commercialiser un crédit de la banque espagnole Kutxabank à… 50 ans ! « Cela a permis à des familles d’acheter leur premier bien, une opération qu’elles n’auraient jamais pu réaliser sinon. Depuis, elles ont revendu leur logement pour en acquérir un autre », se souvient Laurent Desmas, président du directoire de Cafpi qui conseilla les premiers souscripteurs de ce prêt hors norme.

S’engager sur un crédit à longue durée n’est toutefois pas sans risque. L’opération peut s’avérer désastreuse si l’on est obligé de vendre son bien dans les toutes premières années du prêt, surtout si les prix de l’immobilier venaient à baisser brutalement.