Editorial du « Monde ». Près de cinq ans après le tragique renoncement des Etats-Unis face à l’utilisation d’armes chimiques par le régime syrien contre ses propres citoyens, la communauté internationale se retrouve confrontée au même défi : comment punir les auteurs de ce qui s’appelle, en droit international, un crime de guerre ?

Hormis Moscou, qui crie sans vergogne à un montage orchestré par les rebelles, nul ne doute en effet que la substance à l’origine de la mort de plus de 40 civils syriens, parmi lesquels de nombreux enfants, samedi 7 avril, à Douma, dernière poche rebelle aux abords de Damas, fait partie des gaz neurotoxiques interdits par les conventions internationales sur les armes chimiques. L’ambassadeur de France aux Nations unies, François Delattre, a évoqué devant le Conseil de sécurité de l’ONU « un carnage chimique » et des symptômes « typiques d’une exposition à un agent neurotoxique puissant, combiné au chlore pour en augmenter l’effet létal ».

Ni Washington ni Paris ne contestent que la fameuse « ligne rouge », celle du recours mortel aux armes chimiques contre des civils, a ainsi été franchie. Les présidents Donald Trump et Emmanuel Macron se sont entretenus deux fois au téléphone en deux jours après l’attaque de Douma et sont convenus de la nécessité d’une « réaction ferme de la communauté internationale ». Devant la presse à Washington, le président américain a assuré que ce nouveau défi du régime syrien serait relevé « avec force » et qu’« il serait établi » si cet acte avait été commis par la Syrie, la Russie, l’Iran, « ou tous ceux-là ensemble ».

La volte-face désastreuse de 2013

Une riposte est donc inéluctable. Les responsables français, américains et britanniques ne sont que trop conscients des conséquences désastreuses de la volte-face de l’administration Obama qui, le 31 août 2013, alors que les avions français étaient prêts à décoller, renonça à mener des frappes militaires conjointes contre le régime du président Assad, après une attaque au gaz sarin contre la population de la Ghouta, près de Damas. Depuis, selon l’ONG Human Rights Watch, le régime a fait usage d’armes chimiques contre les civils 85 fois. Le successeur de Barack Obama puis celui de François Hollande ont à leur tour défini l’utilisation d’armes chimiques comme une « ligne rouge » : ne pas respecter cet engagement reviendrait à enterrer définitivement la crédibilité, déjà sérieusement mise à mal dans le drame syrien, des puissances respectueuses du droit international, et à consacrer l’impunité des auteurs de crimes de guerre.

La question n’est donc plus : faut-il riposter ou non ? Mais : comment riposter ? Sur le front diplomatique, le Conseil de sécurité de l’ONU est bloqué par la Russie qui, protectrice de Bachar Al-Assad et maîtresse de l’espace aérien syrien, opposera inévitablement son veto à toute tentative de sanctionner légalement Damas. Une fois cette voie épuisée, Français et Américains devront donc agir de leur propre initiative, peut-être avec l’appui des Britanniques.

Il y a un an exactement, les Etats-Unis avaient répondu par un tir de missiles sur une base aérienne syrienne à une attaque à l’arme chimique qui avait fait plus de 80 morts. Il leur faut maintenant penser plus loin, sans précipitation, avec le plus grand nombre d’alliés possible, sans négliger les effets d’opérations menées dans un environnement aussi explosif en présence d’acteurs comme la Russie et l’Iran, mais aussi Israël et la Turquie. Rarement le Moyen-Orient aura été aussi dangereux.