Pétrole et montage offshore : comment Total a aidé la République du Congo à tromper le FMI
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Un Etat endetté cherchant des financements, une compagnie pétrolière cherchant à solder ses contentieux, un « fonds vautour » spécialisé dans le rachat de dettes cherchant à faire payer un pays, un Fonds monétaire international (FMI) dupé par ce dernier… C’est une histoire rocambolesque et un autre aspect de la finance offshore mondiale que dévoilent les dernières révélations du Monde issues des « Paradise Papers », mardi 10 avril.

  • Les montages offshore de Total pour aider le Congo à berner le FMI

C’est une histoire découverte au détour de quelques centaines de pièces d’archive du cabinet d’avocats britannique Appleby, dont des millions de documents ont pu être consultés par les journalistes du Monde et les partenaires du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ). En litige avec le Congo depuis son rachat d’Elf en 2000, le groupe français Total parvient à un accord avec Brazzaville en juillet 2003 : la compagnie pétrolière obtient l’effacement de divers contentieux avec l’Etat et, en échange, lui cède pour un franc symbolique ses parts dans une concession pétrolière maritime. En besoin de liquidités, le Congo veut vendre par anticipation le pétrole qui sera extrait dans les années suivantes… mais cette pratique est interdite par le Fonds monétaire international pour tous les Etats demandant son aide.

Les documents racontent comment Total a réalisé un complexe montage offshore pour masquer la véritable identité du nouveau propriétaire du champ pétrolier, sollicitant au passage l’aide de la banque française BNP Paribas.

  • Elliott Management, le « fonds vautour » qui veut faire payer les Etats

Le dossier « Likouala » (du nom d’une société écran montée par Total) aurait pu rester secret si un fonds d’investissement américain ne s’en était pas mêlé. Elliott Management s’est fait une spécialité de racheter, à bas prix, des émissions de dette souveraines d’Etat en situation de quasi-faillite et de faire payer ces derniers, souvent par des actions en justice. Cela a été le cas avec l’Argentine, cela l’a également été avec le Congo : après une procédure judiciaire tentant de dévoiler le véritable propriétaire du champ pétrolier maritime, Elliott Management est parvenu à un accord financier avec le Congo pour rembourser une partie de sa dette.

Agathe Dahyot pour "Le Monde"

  • Le Congo, Etat aux comptes opaques et miné par la corruption

Cette histoire pourrait ne relever que du passé si le Congo n’était de nouveau pas au bord de la faillite et à ce titre, solliciter à nouveau l’aide du Fonds monétaire international. La vente par anticipation de pétrole, ainsi que des emprunts gagés sur les produits pétroliers, sont toujours interdits par l’institution mondiale. Le FMI est confronté de manière régulière à l’opacité des comptes publics congolais.

Des ONG demandent notamment à l’institution internationale de s’assurer de « conditions de transparence » dans le pays et la mise en place de « cadastres pétroliers » dans le pays, pour centraliser « toutes les informations disponibles sur les entreprises extractives ».

A ce problématique manque de transparence, s’ajoute une machine d’Etat minée par la corruption. Celle-ci est au cœur de la vie politique et économique du pays. On retrouve, dans l’histoire récente du pays, plusieurs affaires dans lesquelles les bénéfices pétroliers du pays ont été soustraits au profit de quelques puissants, parmi lesquels les proches du président actuel, Denis Sassou-Nguesso.

  • Le pétrole d’Elf, ou l’essence de la Françafrique

L’histoire remet en lumière le rôle prépondérant qu’a eu, pendant plusieurs décennies, la compagnie pétrolière Elf, rouage essentiel de la Françafrique mêlant argent sale, diplomatie et réseaux d’espions.

Les « Paradise Papers » en 3 points

Les « Paradise Papers » désignent une enquête menée par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et ses 96 médias partenaires, dont Le Monde, soit 400 journalistes de 67 pays. Ces révélations s’appuient sur une fuite de documents initialement transmis, en 2016, au quotidien allemand Süddeutsche Zeitung par une source anonyme.

Cette nouvelle enquête permet de lever le voile sur les mécanismes sophistiqués d’optimisation fiscale dont profitent les multinationales et les grandes fortunes mondiales.

Les « Paradise Papers » sont composés de trois ensembles de données, qui représentent au total près de 13,5 millions de documents :

  • 6,8 millions de documents internes du cabinet international d’avocats Appleby, basé aux Bermudes mais présent dans une dizaine de paradis fiscaux.
  • 566 000 documents internes du cabinet Asiaciti Trust, installé à Singapour.
  • 6,2 millions de documents issus des registres confidentiels des sociétés de dix-neuf paradis fiscaux : Antigua-et-Barbuda, Aruba, Bahamas, Barbades, Bermudes, Dominique, Grenade, îles Caïman, îles Cook, îles Marshall, Labuan, Liban, Malte, Saint-Christophe-et-Niévès, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Samoa, Trinité-et-Tobago, Vanuatu.