Pour Emmanuel Macron, « le lien entre l’Eglise et l’Etat s’est abîmé »
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Editorial du « Monde ». Depuis son élection, Emmanuel Macron était sommé, par beaucoup, de clarifier sa position sur la laïcité et le rôle des religions dans la cité. Etranges sommations, en réalité, tant la philosophie du chef de l’Etat en la matière, durant sa campagne et depuis, a été constante et explicite. En témoignent son livre-programme Révolution, puis ses interventions en juin 2017 devant le Conseil français du culte musulman, en septembre devant les protestants, en décembre lors d’une rencontre avec les représentants de tous les cultes et, il y a un mois, lors du dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France.

Restaient les catholiques. Mobilisant sans fausse pudeur sa culture chrétienne, forgée autant par son éducation chez les jésuites que par son compagnonnage avec le philosophe protestant Paul Ricœur, le président de la République leur a longuement tendu la main, lundi 9 avril, lors du discours qu’il a prononcé au Collège des Bernardins, à l’invitation de la Conférence des évêques de France.

Inédite tant dans la forme que dans le ton – seul Nicolas Sarkozy, avant lui, s’était risqué à ce genre d’exercice en 2007 dans son discours du Latran –, cette rencontre était de nature à hérisser tous ceux, défenseurs d’une laïcité pure et dure, qui soupçonnent le chef de l’Etat d’être partisan d’accommodements trop complaisants avec les religions. Cela a d’autant moins manqué que M. Macron a, dès ses premiers mots, bravé ses détracteurs en exprimant « le sentiment que le lien entre l’Eglise et l’Etat s’est abîmé et qu’il nous importe de le réparer ». Et qu’il a longuement disserté, ensuite, sur « la sève catholique » qui a irrigué l’histoire de France, minimisant au passage le long combat de l’Eglise contre les Lumières et la République.

Bronca inévitable

Chez tous ceux qui jugent que le lien entre Etat et Eglise a été tranché, une fois pour toutes, par la loi de 1905 posant les bases de la laïcité à la française, la bronca était inévitable. De Jean-Luc Mélenchon à Olivier Faure, de Benoît Hamon aux francs-maçons du Grand Orient de France, tous ont fustigé ces affirmations.

Délibérée, la provocation présidentielle n’en était pas moins excessive, car elle a largement occulté le reste du propos. Le chef de l’Etat a, en effet, rappelé sans ambiguïté cette « règle d’airain qui ne souffre aucun compromis » : « Mon rôle est de m’assurer que chaque citoyen ait la liberté absolue de croire comme de ne pas croire, mais je lui demanderai de la même façon et toujours de respecter absolument, et sans compromis aucun, toutes les lois de la République. » Il a par ailleurs réaffirmé, sans surprise, qu’il n’entendait être « ni l’inventeur ni le promoteur d’une religion d’Etat substituant à la transcendance divine un credo républicain ».

En outre, cette bravade présidentielle a quelque peu masqué le message du chef de l’Etat. Celui-ci, en réalité, s’est moins adressé à l’Eglise (et ses rapports avec l’Etat) qu’aux catholiques (et leur place dans la société). Fustigeant l’attitude des responsables politiques qui, depuis des années, se sont « ingéniés soit à instrumentaliser » les catholiques « pour des raisons trop évidemment électoralistes », soit à les « ignorer » ou à les reléguer « au rang de minorité militante », Emmanuel Macron s’est employé à les rassurer pour mieux tenter de les séduire, contre l’attraction qu’exercent sur bon nombre d’entre eux la droite et l’extrême droite. A cet égard, le message présidentiel était beaucoup plus politique que spirituel.