Mark Zuckerberg lord de son audition devant les sénateurs, le 10 avril. / ALEX BRANDON / AP

Mardi 10 avril, pour la première fois, le fondateur et PDG de Facebook s’est exprimé devant les parlementaires américains. Pendant cinq heures, les sénateurs l’ont soumis à une série de questions.

Mark Zuckerberg s’est longuement expliqué sur le modèle économique de Facebook, sur le scandale Cambridge Analytica ou sur la manière dont il protégeait son réseau contre les ingérences étrangères.

Mais, bien aidé par des sénateurs qui semblaient parfois disposer d’une connaissance très superficielle du fonctionnement de Facebook, le patron du réseau social a laissé en suspens de nombreuses interrogations.

1. Pourquoi Facebook a-t-il mis si longtemps à réagir à Cambridge Analytica ?

Mark Zuckerberg l’a reconnu à plusieurs reprises : ne pas avertir ses utilisateurs dès 2015 lorsque Facebook a appris que les données de plusieurs millions d’entre eux avaient été siphonnées était une « erreur ». Facebook aurait aussi dû, a reconnu son fondateur, s’assurer que l’entreprise responsable, Cambridge Analytica, avait bel et bien fait disparaître ces données mal acquises.

Pensaient-ils que ce scandale passerait inaperçu ? Que les faits n’étaient pas suffisamment graves ? Mark Zuckerberg n’a en tout cas pas expliqué pourquoi et comment la décision avait été prise fin 2015 de ne pas avertir ses utilisateurs et de se contenter d’une assurance écrite de suppression des données de la part de cette société spécialisée dans l’influence électorale. Et pourquoi ne pas avoir averti ses utilisateurs après que Cambridge Analytica a rejoint la campagne de Donald Trump, en 2016 ?

A l’époque, Facebook était conçu pour laisser largement ouvertes à des applications tierces ses réserves en données personnelles. Autrement dit, il y a peut-être des dizaines, voire des centaines de société qui ont fait ce qui est aujourd’hui reproché à Cambridge Analytica. Pourquoi ne pas avoir davantage enquêté sur d’autres sociétés similaires dès 2015, alors même que la problématique de ces applications tierces était parfaitement connue des dirigeants et des ingénieurs du réseau social ?

La semaine dernière, Mark Zuckerberg a reconnu que les profils publics de tous les membres du réseau social – 2 milliards de personnes concernées – avaient été en partie aspirés par des acteurs inconnus. Pourquoi Facebook n’a pas détecté cette activité massive ? Où se trouvent aujourd’hui ces données ? Qui est responsable de ce siphonnage ? Pourquoi ne pas avoir réagi plus tôt alors que les chercheurs alertent sur ce problème depuis des années ? Autant de questions auxquelles Mark Zuckerberg n’a pas répondu.

2. Y a-t-il une connexion entre Cambridge Analytica et la Russie ?

D’un côté, une société, Cambridge Analytica, dont un sous-traitant a aspiré les données de 87 millions d’utilisateurs de Facebook, sans doute à des fins d’influence électorale. De l’autre, une opération de propagande pilotée par la Russie et diffusée sur les réseaux sociaux de manière ciblée.

Les données de Cambridge Analytica ont-elles été utilisées par la propagande russe pour mieux cibler ses messages ? Facebook est en tout cas capable – depuis des mois – de dire si ses usagers visés par les publicités russes ciblées se recoupent avec ceux dont les données ont été aspirées.

Interrogé sur ce point précis et explosif par la sénatrice Amy Klobuchar, il a pourtant été incapable de répondre. « Nous enquêtons là-dessus. Nous pensons que c’est entièrement possible », s’est contenté de dire le PDG de Facebook.

3. Pourquoi Facebook a mis tant de temps à détecter les activités de l’Internet Research Agency russe ?

Cela fait des années que la presse, russe et américaine, évoque les activités de l’Internet Research Agency, une officine proche du Kremlin chargée de la propagande en ligne.

Pourquoi Facebook a-t-il été pris par surprise par les activités de cette dernière sur son réseau ? Pourquoi le réseau social a-t-il mis tant de temps à prendre en compte la question de l’ingérence électorale ?

4. Facebook est-il vraiment prêt à être régulé et si oui, comment ?

C’est une des questions les plus pressantes auxquelles doit faire face Facebook aux Etats-Unis : le réseau social est-il prêt à faire face à de nouvelles lois contraignant ses activités ?

Après cinq heures d’entretien, la réponse n’est pas très claire. Face au républicain Lindsey Graham et ses questions précises sur une éventuelle situation monopolistique de Facebook (qui nécessiterait donc des actions des pouvoirs publics), Mark Zuckerberg a patiné, incapable de convaincre son interlocuteur que Facebook faisait face à une véritable concurrence.

Pressé par les sénateurs pour savoir s’il serait prêt à défendre une loi protégeant la vie privée des moins de 16 ans, Mark Zuckerberg a aussi botté en touche : « Je ne suis pas sûr que nous ayons besoin d’une loi. »

Mark Zuckerberg est aussi resté vague sur le RGPD, le texte européen très contraignant sur les données personnelles : va-t-il l’appliquer uniformément pour tous ses utilisateurs au-delà de l’Europe ? Le patron de Facebook a été plus flou que dans un entretien avec des journalistes il y a quelques jours. Dans ses notes personnelles préparées pour l’audition, révélée dans une photographie de l’agence Associated Press, une mention a retenu l’attention de nombreux observateurs : « Ne dis pas que nous appliquons déjà ce que requiert le RGPD. »

5. Pourquoi les utilisateurs de Facebook sont-ils régulièrement surpris et choqués de l’utilisation de leurs données ?

« Voici ce que tout le monde a essayé de vous dire aujourd’hui, et je le dis gentiment : vos conditions d’utilisation sont nulles » : le sénateur de Louisiane John Kennedy, habitué des phrases chocs, n’a pas pris de gants.

Il n’a cependant pas réussi à savoir comment Facebook entendait être plus transparent sur la manière dont les données personnelles sont collectées, stockées et utilisées. Ni obtenu la raison pour laquelle les utilisateurs de Facebook ont la sensation lancinante de ne pas maîtriser leurs données personnelles et ce que Facebook compte faire pour y remédier. Mark Zuckerberg a même refusé de répondre directement à un sénateur qui souhaitait savoir dans quelle mesure Facebook pistait ses utilisateurs y compris hors du réseau social.

A plusieurs reprises, le patron du réseau social a même paru convaincu que sa plate-forme était transparente sur la manière dont elle utilisait les données personnelles. « J’espère que ce que nous faisons avec les données n’est pas une surprise pour les gens », s’est-il amusé.

6. Pourquoi Facebook est-il incapable d’anticiper les usages néfastes de son réseau social ?

« Vous êtes assis là à la tête d’une entreprise riche à milliards, et nous avons entendu vos excuses à de nombreuses reprises, et vos promesses que vous alliez changer, mais nous y revoilà. » Cette phrase assassine est signée de la sénatrice Maggie Hassan. En effet, depuis presque quinze ans, Facebook s’excuse. A intervalles réguliers et sur presque tous les sujets, les dirigeants du réseau social semblent incapables d’anticiper les usages néfastes qui peuvent être faits de leur outil.

Aujourd’hui, le réseau social est accusé de contribuer à un génocide en Birmanie, d’avoir participé à une manœuvre d’ingérence électorale inédite aux Etats-Unis, de favoriser la division de la société américaine, de propager les fausses informations et de saccager la vie privée. Facebook ne peut pas tout stopper, mais pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps pour se rendre compte que le réseau social pouvait poser problème ?