Gare Montparnasse, le 8 avril. / THOMAS SAMSON / AFP

Alors qu’a débuté la deuxième semaine de grève à la SNCF, toujours très suivie par les cheminots, Didier Aubert, secrétaire général de la CFDT Cheminots, a répondu aux questions des lecteurs du Monde sur le mouvement et le projet de réforme du gouvernement.

John : Bonjour après deux semaines de mouvement ou en sont les négos, les concertations avec le gouvernement ?

Didier Aubert : La CFDT est pleinement engagée dans les négociations et a proposé une vingtaine d’amendements au projet de loi en discussion. A ce stade, certains amendements portés par des parlementaires ont été rejetés. Le gouvernement en regarde certains autres, mais nous n’avons pas encore eu de retour.

Les amendements portés par la CFDT concernent, dans un premier temps, l’ouverture à la concurrence. La CFDT Cheminots n’y est pas favorable mais notre responsabilité d’organisation syndicale nous impose de protéger les salariés du secteur ferroviaire et d’apporter les garanties de régulations maximales dans un marché ouvert. Une proposition essentielle concerne les garanties de transfert et le libre choix des salariés. Sur ce point très important nous n’avons pas de réponse.

Paul : Qu’attendez-vous de l’intervention d’Emmanuel Macron, demain jeudi 12 avril, au journal de 13 heures sur TF1 ?

Didier Aubert : Que le gouvernement arrête de jouer l’opinion publique et que les vraies questions soient posées pour assurer un véritable avenir au ferroviaire. Le président de la République doit revenir sur la méthode en acceptant un véritable débat démocratique, respectueux de toutes les parties prenantes (Parlement, usagers, organisations syndicales…). La CFDT Cheminots attend qu’une véritable négociation soit engagée. Nous y sommes prêts et les propositions que nous avons formulées en attestent. Des annonces concrètes sur le financement durable permettant un développement du ferroviaire doivent par ailleurs être faites.

Luc : Quelles avancées permettraient selon vous de débloquer la situation ?

Didier Aubert : Il faut impérativement des annonces claires et concrètes pour un financement durable du système. Par ailleurs, il faut que le gouvernement revienne sur ses postures et arrête de se focaliser sur le statut des cheminots qui n’est pas une cause des dysfonctionnements du système. Il faut donc des garanties sociales fortes dans l’ouverture à la concurrence.

La CFDT Cheminots a fait des propositions sur tous ces points, notamment en portant des dispositions permettant de créer un « bouclier social » et continue d’exiger et d’œuvrer pour une convention collective de la branche ferroviaire qui soit de haut niveau. C’est une condition indispensable pour éviter le dumping social dans le cadre de l’ouverture à la concurrence. Par ailleurs, la réforme de 2014 avait permis de garantir l’unité sociale et le caractère indissociable et solidaire du groupe public ferroviaire. Ces principes doivent être réaffirmés et inscrits en dur dans la nouvelle loi. Or, la transformation en société anonyme fait courir un risque d’éclatement social et économique.

JCS : L’Etat (c’est-à-dire nous les Français) est prêt à reprendre la dette si une solution est proposée pour éviter le déficit annuel de 3 milliards d’euros. Que proposez-vous ?

Didier Aubert : Il faut avant tout préciser que dans les 3 milliards d’euros, il y a 1,6 milliard d’euros qui sont des frais financiers directement liés à la charge de la dette de SNCF Réseau.
Aujourd’hui, les péages (ce que l’opérateur ferroviaire paie pour faire rouler ses trains) ne permettent pas de couvrir le coût complet de l’infrastructure. En Allemagne, il y a 1,5 fois plus de subventions publiques consacrées au renouvellement du réseau. Nous avons en France un retard chronique de régénération du réseau. Cela nécessite de forts investissements qui doivent être financés.

Pour la CFDT Cheminots, il faut impérativement une fiscalité écologique sur le transport routier qui permette de financer ces investissements. Pour mémoire, en Allemagne toujours, une telle taxe existe et rapporte 4,5 milliards d’euros par an.

P Cayus : Pourquoi pensez-vous que la concurrence n’est pas la bonne solution ?

Didier Aubert : Nous avons, en France, l’expérience de l’ouverture à la concurrence du fret. Cela a abouti à une diminution de la part modale du transport de marchandises par rail et ce au profit de la route. Cela est vrai pour toutes les entreprises ferroviaires qui interviennent sur le marché. Il faut aussi rappeler que pour qu’il y ait ouverture à la concurrence il faut que le réseau soit en état optimal. Cela renvoie à la question de l’obligation d’investissement. Dans les autres pays européens qui ont ouvert à la concurrence, les contributions publiques sont 2 à 3 fois supérieures. Il faut expliquer aux citoyens que l’ouverture à la concurrence, c’est payer une première fois pour le réseau et une seconde fois pour des opérateurs privés qui n’iront logiquement que sur les marchés rentables.

Ailleurs, les prix payés par les usagers sont bien supérieurs à ceux pratiqués en France. Par exemple, en Allemagne le prix du billet est de 13,1 centimes par passager au kilomètre contre 12,5 centimes en France. Ensuite, en Allemagne la satisfaction des voyageurs est inférieure à celle constatée en France selon l’Eurobaromètre. Au Royaume-Uni, 60 % des citoyens demandent la renationalisation des chemins de fer.

Pour finir, l’ouverture à la concurrence pose des questions d’organisation du trafic et d’exploitation qui ne sont jamais présentées.

Alexandre : Aujourd’hui la SNCF embauche des personnes sous contrat. Plutôt que se battre pour le maintient du statut n’aurait-il pas été plus judicieux de se battre pour une convention collective aussi avantageuse que le statut ?

Didier Aubert : La réforme de 2014 avait prévu la négociation d’une convention collective de branche ferroviaire. Cette démarche est en cours et elle est percutée par la décision unilatérale du gouvernement de supprimer le statut sans s’assurer du succès d’une telle négociation. On peut noter, du côté de la direction de la SNCF, la volonté de s’opposer à un cadre social de haut niveau s’inspirant du statut actuel.

Grrr : Grève perlée : emmerdement maximum. Avez-vous bien conscience du ras le bol des usagers ?

Didier Aubert : Oui nous sommes bien conscients de la gêne pour les voyageurs. C’est aussi pour cela que nous avons organisé le mouvement actuel qui n’engendre pas une interruption continue du service. Le début du mouvement actuel a été précédé par une période conséquente (un mois !) pour éviter la grève.

Le gouvernement n’a pas utilisé cette période pour négocier et donner du sens et du contenu à sa réforme. Aujourd’hui, malgré toutes les propositions de la CFDT Cheminots, le gouvernement ne fait rien pour la cessation de ce mouvement.

Danielk : Pourquoi ne pas organiser la grève autour de la gratuité des trains ? ce qui rendrait votre mouvement beaucoup plus populaire.

Didier Aubert : C’est illégal. La CFDT cheminots l’a fait en 1989. Des agents ont été condamnés. A la CFDT, nous sommes respectueux du droit.

Pepy : On entend plus beaucoup parler de Guillaume Pepy, le patron de la SNCF ? Quel est son rôle dans cette négociation ? N’est-il pas écarté ?

Didier Aubert : Nous avons toutes les raisons de penser que Guillaume Pepy est l’inspirateur de cette réforme, sur les grandes orientations dogmatiques du projet. Il est le grand absent dans le sens de la défense de son entreprise publique et du corps social cheminot. Il n’avait pas partagé les orientations de la réforme de 2014. Nous pensons qu’il cherche à obtenir aujourd’hui ce qu’il n’a pas eu hier au risque de l’éclatement du groupe public ferroviaire.

Pierre : La SNCF, société nationale, est propriété de tous les Français, y compris sa dette donc. Pourquoi ne demandez-vous pas que nous, les Français, puissions être associés aux débats de façon moderne, directe ?

Didier Aubert : C’est ce que nous demandons. Depuis l’annonce du gouvernement, la CFDT a réclamé qu’un large débat posant toutes les questions et défis pour trouver des solutions durables au transport public ferroviaire soit ouvert.

La CFDT constate que le débat parlementaire est réduit à sa portion la plus congrue et que la négociation avec les parties prenantes ne produit pas d’effets. Tout comme vous, nous le déplorons.