Hajar Errami et Shanley Clemot Maclaren sont les invitées de l’émission « Questions directes » sur France 2, le 11 avril. / Sofia Fischer/Le Monde

Convenir d’un rendez-vous avec ces deux lycéennes s’est avéré plus compliqué que de rencontrer un ministre : entre les révisions pour le baccalauréat, les petits boulots et les dossiers qu’elles montent pour lutter contre le sexisme dans les établissements scolaires, les jeunes filles n’ont plus le temps « pour quoi que ce soit ».

Shanley Clemot MacLaren, piercing au nez et cheveux roses, et Hajar Errami, tenue élégante et chignon perché sur le crâne, ont toutes deux 19 ans. Mercredi 11 avril, elles iront directement de leur lycée aux locaux de France 2, où elles ont été invitées à témoigner pour la nouvelle émission de débat animée par Julian Bugier, « Question directes ». Plusieurs fois reportée, celle-ci devait avoir lieu en présence de la secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa.

Mais le 4 avril, Shanley Clemot MacLaren a publié sur Twitter un SMS d’un membre de l’émission lui indiquant que, finalement, la secrétaire d’Etat ne viendrait pas, car elle « refuse de venir débattre avec des personnes qui risqueraient de la bousculer un peu ». Une version démentie par le cabinet de Mme Schiappa et par le service de presse de France Télévisions, qui mettent en avant des raisons purement organisationnelles, d’agenda.

Deux jeunes femmes, deux parcours

Quoi qu’il en soit, Shanley Clemot MacLaren et Hajar Errami seront là, elles, pour représenter la jeune génération dans cette émission qui portera sur les moyens de lutter contre le sexisme. La première est en terminale littéraire, issue d’une famille bilingue, d’un père travaillant à la RATP et d’une mère anglophone, professeure à l’université ; la seconde, en terminale sciences et technologies du management et de la gestion (STMG), a grandi en foyer dans l’Oise avec son frère aîné.

Les deux lycéennes ne se fréquentaient que de loin, jusqu’à ce jour de décembre 2017 où elles ont organisé un blocus pour dénoncer le harcèlement sexuel subi dans leur établissement, le lycée Camille-Pissaro, à Pontoise (Val-d’Oise). Depuis, elles sont « copines de lutte ». Ce jour-là, Hajar Errami, « courageuse et libre » selon la banderole qu’elle tenait, racontait : « Quand une fille passe au tableau, c’est systématiquement accompagné de commentaires de la part des garçons, qui peuvent aller du “sale pute” à “matez-moi ce cul, je le baiserais bien”. Quand ils ne miment pas des actes inappropriés avec leur sexe… ». Le tout « sous les yeux » des professeurs qui resteraient souvent impassibles.

Trois mois après, les filles se félicitent que leur lutte ait payé : même si elles attendent toujours l’intervention de la brigade de prévention de la délinquance pour rappeler la loi aux élèves, promise par le conseil d’administration, le problème a été reconnu par les encadrants et la situation s’est quelque peu assainie. Elles préparent avec l’Union nationale des lycéens, qui a rejoint leur lutte, des interventions dans des classes pour sensibiliser les étudiants à la question.

Des rumeurs sexistes au cas de viol

A Camille-Pissaro, elles ont été identifiées, par l’administration comme par les élèves, comme des personnes-ressources sur ces questions. « Des filles viennent nous voir dans les couloirs pour nous raconter leurs soucis, nous poser des questions, demander conseil », raconte Shanley Clemot MacLaren. Cela peut aller d’une rumeur sexiste qui circule sur le réseau social Snapchat à, parfois, des cas de viol en soirée. « Je n’ai pas toutes les réponses, avoue la jeune femme. J’ai cherché des numéros d’associations, parfois je suis obligée de les diriger vers des personnes plus compétentes. »

Le duo n’est pas d’accord sur tout. Selon Shanley Clemot MacLaren, la fille d’universitaire, on ne naît pas féministe, on le devient. Pour Hajar Errami, c’est tout l’inverse.

Shanley a connu un premier amoureux toxique et violent, qui finira par l’agresser physiquement, ce qui la conduira à porter plainte :

« J’ai mis du temps à me reconstruire. J’ai cru que c’était une relation malsaine classique. Et puis j’ai fait beaucoup de recherches, j’ai trouvé des milliers d’autres femmes qui avaient subi les mêmes choses que moi, et j’ai compris que ce n’était pas quelque chose de personnel, mais que c’était structurel : c’était une des nombreuses conséquences du sexisme. »

Elle « se pose alors un tas de questions » sur « toutes ces choses auxquelles [elle s’était] habituée » : « Pourquoi les garçons qui enchaînent les conquêtes sont des héros, et les filles des “putes” ? Pourquoi je me prends si régulièrement des mains [aux fesses] dans le bus ? »

Hajar Errami, qu’une enfance en foyer a obligée à se prendre en charge très tôt, assure, elle, que le féminisme a toujours « fait partie de sa nature » :

« Je ne comprends même pas qu’on me qualifie de féministe. Il ne devrait même pas y avoir de mot pour cela. Je suis une femme et je lutte pour les femmes, c’est ce qu’il y a de plus naturel. »

A la différence de Shanley Clemot MacLaren, elle se souvient d’avoir été en colère depuis toujours face aux agressions du quotidien et aux discriminations d’une manière générale.

Se positionner sur les grandes thématiques

Conscientes que le débat féministe n’est pas exempt de divisions internes, elles tentent de se positionner sur les grandes thématiques. Quid de la prostitution ? De la pornographie ? Du voile ? Shanley Clemot MacLaren s’est fixé le défi de se poser à elle-même une grande question par semaine sur ces grands sujets. Elles se renseignent, impriment des articles de presse qu’elles rangent dans un classeur, écoutent des discours sur YouTube. Elles tâtonnent.

En section littéraire, Shanley Clemot MacLaren a découvert très tôt Olympe de Gouges (1748-1793) et Simone de Beauvoir (1908-1986). Hajar Errami, elle, s’inspire davantage des icônes venues des Etats-Unis, comme la célèbre présentatrice Oprah Winfrey ou les actrices Emma Watson ou Jennifer Lawrence.

Depuis qu’elles ont été contactées par France 2 pour participer au grand débat, elles étudient les budgets alloués au secrétariat pour l’égalité, lisent des portraits de Marlène Schiappa, scrutent de près son projet de loi contre les violences sexuelles et sexistes, dévoilé le 20 mars en conseil des ministres. Mercredi, elles ont un seul but : faire comprendre aux « politiques » qu’il ne sert à rien de s’attarder sur les « conséquences » du sexisme si on n'investit pas dans la prévention.

« J’ai l’impression que les adultes passent leur vie à faire le bilan des choses, des conséquences du sexisme ambiant, mais personne ne parle des vraies questions, s’exaspère Shanley Clemot MacLaren. Comment va-t-on éduquer les petits garçons – et les petites filles – à l’avenir pour éviter ce genre de constats ? »