Theresa May sur la base militaire britannique d’Akrotiri, à Chypre, le 21 décembre 2017. / PETROS KARADJIAS / AFP

Downing Street l’assure : Theresa May est prête à s’engager en Syrie, même sans attendre un éventuel accord du Parlement. La première ministre britannique, lors de conversations téléphoniques, mardi 10 avril, s’est mise d’accord avec les présidents américain et français sur « la nécessité pour la communauté internationale d’une réponse » aux attaques en Syrie « afin de faire respecter l’interdiction mondiale de l’usage des armes chimiques », détaille un communiqué officiel.

Les avions Tornado sont prêts à décoller de la base militaire britannique d’Akrotiri (sud de Chypre). Mais Mme May, souvent raillée pour son caractère excessivement méthodique et sa lenteur à décider, semble prendre son temps pour réunir les arguments dont elle pourrait avoir besoin si elle se heurtait à des critiques parlementaires. Le communiqué de Downing Street évoque prudemment les « informations à confirmer » faisant état d’une attaque à l’arme chimique à Douma, près de Damas.

Plusieurs élus conservateurs de haut vol l’incitent à passer à l’action sans attendre l’accord de Westminster. Tom Tugendhat, le président de la commission des affaires étrangères des Communes, affirme que des frappes visant des stocks syriens d’armes chimiques « ne nécessiteraient pas » un vote des députés. Pour Dominic Grieve, député conservateur et ancien procureur général, des frappes limitées peuvent être lancées sans approbation du Parlement, mais ce ne serait pas le cas d’une campagne plus large en Syrie.

La question se complique du fait que le Parlement n’est pas en session et ne sera réuni qu’à partir de lundi 16 avril. D’où l’idée d’un débat et d’un vote rétrospectif si des frappes étaient décidées avant cette date. « Le Parlement devrait débattre de cette crise au début de la semaine prochaine, mais cela ne doit pas servir de prétexte à l’inaction ou à un retard », estime Nick Boles, député conservateur et ancien ministre.

« Etant donné notre bilan… »

Formellement, aucun texte n’oblige Mme May à consulter le Parlement. Mais une pratique s’est établie depuis la guerre en Irak, selon laquelle le déploiement de troupes britanniques exige un débat et un vote des députés. En 2011 pourtant, les Britanniques s’étaient associés à l’intervention de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) en Libye deux jours avant un vote à Westminster.

La décision que Theresa May doit prendre renvoie à un souvenir cuisant pour les conservateurs. En 2013, David Cameron, son prédécesseur, avait été mis en minorité aux Communes lors d’un vote sur des frappes aériennes destinées – déjà – à punir le régime de Bachar Al-Assad pour l’usage d’armes chimiques. Ce vote avait conduit Barack Obama à renoncer à intervenir, alors que François Hollande y était favorable.

A l’époque, certains députés conservateurs et libéraux de la majorité s’étaient alliés aux travaillistes d’Ed Miliband, opposés aux frappes. Ce précédent donne à réfléchir à Mme May, dont la majorité parlementaire est autrement plus mince que celle de M. Cameron.

Certains élus conservateurs sont toujours réticents aujourd’hui, mettant en garde contre le risque d’escalade avec la Russie. « Le Parlement a le droit de poser toutes les questions, surtout étant donné le bilan de nos précédentes interventions dans la région », a déclaré John Barron, élu de l’Essex. Quant au Parti travailliste, il est divisé. Son chef, Jeremy Corbyn, s’opposera très probablement aux frappes, lui qui, depuis des décennies, a voté contre toutes les interventions militaires, depuis les Malouines jusqu’à l’Irak, la Libye et la Syrie. Il estime que des frappes en Syrie nécessitent un mandat de l’Organisation des Nations unies, qui se trouve faire l’objet d’un veto de la Russie.

Le mauvais climat de l’affaire Skripal

En 2015, le Parlement britannique avait largement approuvé les frappes visant l’organisation Etat islamique (EI) en Syrie. Beaucoup de députés travaillistes s’étaient alors joints aux conservateurs dans ce sens. Mais Emily Thornberry, actuelle ministre des affaires étrangères du cabinet fantôme (opposition), estime que ce vote visait exclusivement l’EI et ne vaut pas pour bombarder les forces gouvernementales.

Tout porte à croire cependant que Theresa May remporterait aujourd’hui un vote sur les frappes. D’une part parce que des élus travaillistes estiment aujourd’hui que le vote de 2013 était une erreur ; mais surtout en raison du climat généré par l’affaire de l’empoisonnement, à Salisbury le 4 mars, de l’agent double Sergueï Skripal et de sa fille Youlia, dénoncé par Londres comme « la première attaque à l’arme chimique en Europe depuis la seconde guerre mondiale ».

De même que la première ministre a pu affirmer qu’il n’existait « aucune alternative plausible » à l’implication de la Russie à Salisbury, elle veut pouvoir être aussi affirmative à propos de la Syrie. Mais après avoir amplement tiré avantage en politique intérieure de sa fermeté face à Moscou et obtenu la solidarité de plus de 25 pays dans l’affaire Skripal, elle étonnerait en reculant après le carnage de Douma.

Un dernier facteur entre en jeu : la traditionnelle compétition avec la France. Certains critiques de Mme May soulignent que Donald Trump a parlé à deux reprises à Emmanuel Macron avant de joindre la première ministre au téléphone, signe que cette dernière serait hors jeu. Un diplomate britannique cité par la BBC remarque que le président français fait tout ce qu’il peut « pour être le chef européen à qui Trump murmure à l’oreille », et que sa relation avec le cousin américain est plus chaleureuse que celle entretenue par Mme May.