Le nouveau premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, en visite à Ambo, en région Oromia, le 11 avril 2018. / TIKSA NEGERI / REUTERS

Tout un symbole. C’est depuis Ambo (ouest), l’un des foyers des manifestations anti-gouvernementales ayant mené à la chute de son prédécesseur, que le nouveau premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, a demandé au peuple, mercredi 11 avril, de lui laisser le temps de mettre en place les réformes promises.

Investi le 2 avril, M. Abiy est le premier chef du gouvernement de l’Ethiopie contemporaine issu de la communauté oromo, la plus importante du pays. Or c’est en région Oromia (ouest et sud), dans laquelle est située Ambo, que les manifestations anti-gouvernementales avaient débuté fin 2015 avant de s’étendre à d’autres zones, dont la région Amhara (nord).

La répression de ces rassemblements, les plus importants depuis la prise de pouvoir du Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (EPRDF), en 1991, avait fait au moins 940 morts et mené à des dizaines de milliers d’arrestations.

« Main dans la main »

Comme il le fait depuis sa prise de fonctions, M. Abiy a joué l’apaisement mercredi devant des milliers de personnes réunies dans un stade de la ville universitaire d’Ambo. Il a notamment salué les qeerroo, terme utilisé pour désigner les jeunes Oromo qui ont mené des manifestations parfois violentes ainsi que des grèves, voyant en eux « le bouclier du peuple oromo ».

« Nous sommes désormais sur la voie du changement et de l’amour, a déclaré le premier ministre, âgé de 42 ans. Nous avons besoin de votre contribution, nous voulons travailler avec vous, main dans la main […], et nous voulons concrétiser nos promesses. Je vous demande de nous donner du temps pour nous préparer suffisamment, et j’ai confiance dans le fait que les qeerroo vont nous donner assez de temps pour organiser notre action. »

C’est par des dizaines de cavaliers en habit traditionnel et une foule pleine d’espoir que le chef du gouvernement a été reçu mercredi. Il y a un an à peine, les étudiants ne souhaitaient parler aux journalistes que plusieurs kilomètres à l’extérieur de la cité, craignant d’être repérés par les autorités. « C’est la première fois que la personne la plus puissante d’Ethiopie visite Ambo », s’est réjoui Almaz Bulcha, un habitant de la ville, dont l’enthousiasme reflétait les espoirs placés en M. Abiy par la communauté oromo. « Les autres leaders n’aimaient pas venir parce qu’ils avaient peur. »

Etat d’urgence

Les manifestations débutées fin 2015 exprimaient une frustration des Oromo et des Amhara, qui représentent 60 % de la population et s’estimaient marginalisés dans les instances du pouvoir. Elles étaient également porteuses de revendications d’une jeunesse avide de libertés individuelles. L’état d’urgence instauré entre octobre 2016 et août 2017 avait ramené un calme relatif, au prix de milliers d’arrestations, mais n’avait pas apaisé l’ardeur des manifestants.

Dans le deuxième pays le plus peuplé d’Afrique, beaucoup espèrent prudemment que le nouveau premier ministre sera le garant d’une plus grande ouverture, alors que la coalition au pouvoir, l’EPRDF, est accusée de dérives autoritaires par les organisations de défense des droits humains.

Depuis son investiture, onze opposants et blogueurs ont été libérés et l’accès à Internet, qui avait été coupé en dehors de la capitale pour entraver la communication entre manifestants, a été rétabli. Le 7 avril, Abiy Ahmed s’est rendu dans le sud du pays pour tenter de réconcilier les communautés somalies et oromo dont les affrontements en 2017 avaient fait plusieurs centaines de morts.

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Mais les observateurs soulignent aussi que l’état d’urgence décrété après la démission surprise de son prédécesseur, Hailemariam Desalegn, le 15 février, est toujours en vigueur. Et dans la foule à Ambo, nombreux étaient ceux qui guettaient les prochaines décisions du premier ministre. « Cela ne suffit pas d’être dirigeant, avertissait ainsi Dejenu Taye, un étudiant. Maintenant, je me réjouis à l’idée qu’il tienne ses promesses. »