Des supporteurs de l’OM lors du match face à Caen. / BORIS HORVAT / AFP

Seul sur scène, en costume gris et chaussures noires pour l’occasion, Michel Tonini improvise un discours aux airs de bilan. En cette soirée du 9 décembre 2017, son groupe de supporteurs de l’OM, les Yankee Nord Marseille, fêtent ses trente années d’existence au Florida Palace, une salle de réception située dans le 10e arrondissement de la cité phocéenne. Le boss de l’association, 52 ans, égrène les réussites et les déboires des présidents successifs du club, les Tapie, Gaudin, Dreyfus ou encore Labrune, qu’il a tous vu défiler.

« L’Olympique de Marseille, c’est nous », rappelle-t-il de sa voix grave à ses membres, maugréant contre des dirigeants qui, selon lui, font la guerre aux supporteurs et ne les considèrent plus désormais que comme un « mal nécessaire ». « C’est bien qu’ils [les supporteurs] soient là mais ça serait bien qu’ils nous demandent l’autorisation pour aller pisser, ironise-t-il avec son phrasé pagnolesque, parodiant ce qu’il pense être l’avis des instances du football. Ça n’arrivera jamais ! » Quelques mois plus tard, cette certitude a été en partie ébranlée. Le 23 mars, l’OM s’est permis de porter plainte contre les Yankee Nord Marseille, l’une de ses principales associations de supporteurs, pour « escroquerie en bande organisée ». « Je le vis comme une trahison, raconte au Monde Michel Tonini. J’aurais au moins aimé qu’ils m’appellent plutôt que de l’apprendre par un communiqué. »

« Dépassé par les enjeux financiers »

Les faits remontent au match entre l’Olympique de Marseille et l’Olympique Lyonnais, le 18 mars. Comme à chaque rencontre, le club autorise tous ses groupes de supporteurs à faire entrer gratuitement dans le stade un quota de personnes, quelques heures avant le coup d’envoi, pour préparer les animations des tribunes. C’est ce que l’on appelle les « entrées tifo », au nombre de 110, pour les Yankee. Afin de matérialiser ces laissez-passer, l’association distribue à ses membres concernés des bracelets. « Sauf que des marioles, derrière notre dos, se sont amusés à les revendre entre 70 et 145 euros, en faisant croire aux acheteurs qu’il s’agissait de billets pour le match, détaille Michel Tonini. Nous, on ne demande qu’une participation de 20 ou 30 euros, pour financer les tifos. »

Au-delà de la revente de ces bracelets, faux billets, à des prix exorbitants, c’est cette « participation » qui a poussé l’Olympique de Marseille à porter plainte. « Ces entrées tifo n’ont pas à être commercialisées, d’aucune façon », fait savoir le club. Traité « d’escroc » sur les réseaux sociaux, le patron des Yankee peut compter sur Pape Diouf pour prendre sa défense : « Cela fait tant d’années qu’il est à la tête de ce groupe, réagit l’un des anciens présidents de l’OM. Une lassitude a pu s’installer qui le conduit à être moins vigilant. » D’autres, dans l’entourage du club, sont moins tendres : « C’est quelqu’un qui s’est peu à peu rendu compte que sa passion pouvait être rentable, et qui s’est laissé dépasser par les enjeux financiers. »

Les Yankee, c’est avant tout une histoire de famille. Elle commence en 1987, au Lycée Victor-Hugo, à deux pas de la gare Saint-Charles. Avec des camarades de classe, Lionel, le frère de Michel, décide de monter un groupe de supporteurs et d’investir le Virage nord du Vélodrome, pour encourager l’OM. A l’époque, la petite bande se balade en ville un cutter à la main pour arracher les bâches des camions et les transformer en banderoles aux couleurs ciel et blanc. Ils piquent aussi les chutes de jeans d’une usine marseillaise pour en faire des écharpes. Au bout d’une année, Danielle, la mère, reprend la trésorerie de l’association après que des membres ont vidé la caisse pour s’offrir une soirée en discothèque. Elle tiendra les comptes jusqu’à son décès, en 2002. Michel Tonini, surnommé « l’autre », vit encore son amour pour l’OM dans l’ombre de son frère. Avant de reprendre la main, en 2009.

« Quelque part, je me suis volé ma vie »

Il est désormais loin le temps des chutes de jean et des bâches de camion. Aujourd’hui, c’est parfois avec l’argent d’entreprises comme Netflix que Michel Tonini envisage de financer ses tifos. Lors du match OM-Bordeaux, le 18 février, le géant du streaming avait contacté le leader des Yankee pour organiser une animation géante afin d’accompagner la sortie de la saison 2 de la série Marseille. « Ils voulaient juste que le stade soit beau pour cette occasion, il n’y avait pas de pub, explique Michel Tonini. Elles ont un coût ces animations, j’assume, j’aimerais avoir plus souvent de gens qui me proposent de payer les tifos. » Un tifo, en l’occurrence, annulé en catastrophe. Quelques heures avant la rencontre, lorsque l’OM vend la mèche sur les réseaux sociaux, d’autres groupes de supporteurs du Virage nord, les Dodger’s et les MTP, à qui les Yankee avaient demandé un coup de main sans leur dévoiler l’identité du partenaire, se désolidarisent.

A la tête de 3 500 membres, l’affable leader des Yankee avoue être fatigué par tous ces différends qui s’accumulent. Assez pour qu’émergent les regrets. « Avant c’était 80 % de plaisir et 20 % d’emmerdes. Maintenant, c’est l’inverse, se plaint-il. Si j’avais le pouvoir de revenir trente ans en arrière, je ne m’embarque pas là-dedans. Quelque part, je me suis volé ma vie. » Sa vie, d’ailleurs, certains de ceux qui l’ont fréquenté affirment qu’il la gagne grâce à son groupe de supporteurs. Lui, conteste, se définit comme autoentrepreneur dans l’évènementiel, avec des hauts et des bas. En 2017, il tente ainsi d’organiser le Jumping International de Marseille, un concours d’équitation sur les plages du Prado. En vain. L’épreuve est annulée suite à l’opposition de certains élus. Encore une déconvenue.

Comme en décembre 2017, quelques jours avant l’anniversaire des Yankee. Ce soir-là, Michel Tonini fait la connaissance de trois jeunes femmes au bar de la Marine, sur le Vieux-Port. Les verres s’enchaînent. La soirée s’éternise. Au matin, il ne parvient plus à remettre la main sur la carte bleue reliée au compte en banque de son association. Au même moment, aux Galeries Lafayette, l’une des jeunes femmes rencontrées la veille est en train de l’utiliser pour dépenser 13 000 euros de sacs et de vêtements, selon les informations de La Provence. « Je ne suis qu’un célibataire de 52 ans qui se retrouve ivre dans un bar, qui tombe sur trois petites pu... et qui se fait arnaquer, reconnaît-il. Cela arrive. Mais comme c’est Michel Tonini, ça fait jaser. » Sur ce coup-là, c’est bien lui qui a porté plainte pour escroquerie.