Des supporteurs marseillais dimanche 8 avril lors du match contre Montpellier. / PHILIPPE LAURENSON / REUTERS

L’ambiance réputée volcanique du Stade-Vélodrome pouvait-elle conduire au forfait du meilleur joueur du RB Leipzig ? Depuis son malaise en septembre, causé par le bruit assourdissant du public stambouliote lors d’un match de Ligue des champions face au Besiktas, Timo Werner, avant-centre de l’équipe d’Allemagne, traîne la réputation d’un joueur aux oreilles fragiles. Et ce, même si on lui avait officiellement diagnostiqué un blocage musculaire dans le cou et la mâchoire, et non un problème d’hyperacousie (hyperfragilité de l’ouïe).

Malgré quelques rumeurs, Werner, un temps incertain pour une gêne à la cuisse – et non à l’oreille – devrait bien tester la qualité de son audition jeudi en quart de finale retour de la Ligue Europa. Son entraîneur, Ralph Hasenhüttl, l’a confirmé en conférence de presse mercredi. On attend en effet plus de 61 000 spectateurs, un record pour un match de Coupe d’Europe depuis Newcastle en 2004, l’année où l’OM avait atteint la finale. Même la meilleure affluence de la saison, celle du choc contre le PSG en Ligue 1, serait dépassée (60 410 en octobre). Les places s’arrachent sur le marché noir, un phénomène inédit pour une compétition souvent déconsidéré par les clubs et les supporters français.

Timo Werner avait inscrit le but de la victoire de Leipzig au match aller. / SEBASTIAN KAHNERT / AFP

Et Rudi Garcia compte bien sur ce soutien populaire pour renverser la situation après la défaite 1-0 en Allemagne. « Au retour, si nous avons un Stade-Vélodrome plein, nous pouvons renverser des montagnes, annonçait l’entraîneur marseillais à la sortie du match. On a encore toutes nos chances et ce sera une tout autre ambiance pour l’adversaire. » Son souhait sera exaucé. Et il était temps : cette saison, le public olympien avait jusque-là boudé les siens en Ligue Europa. Lors des matchs précédents, 35 000 Marseillais étaient présents en huitièmes contre Bilbao, 22 000 en seizièmes face à Braga ou encore 24 000 contre Salzbourg. Lors du premier match de poule, seuls 8 600 courageux étaient venus encourager leur équipe face aux Turcs de Konyaspor.

Des (nouveaux) supporteurs de la dernière heure

Le phénomène a de quoi agacer les plus fidèles des supporteurs olympiens qui voient certains voler au secours d’une possible demi-finale. « Il y a une hystérie sur ce match. Tout le monde veut venir alors qu’on a tourné à 15 000 ou 20 000 lors des tours précédents. On traitait même de fous ceux qui y allaient. Je suis sûr que si on avait pris 3-0 à l’aller, on aurait été encore les 15 000 mêmes… », assène Franck, l’un des plus anciens membres de la Vieille Garde, collectif qui a créé le premier groupe d’ultras de l’OM en 1984.

Pour ce grognard des tribunes, qui a connu la remontée en Division 1 et les grandes années Bernard Tapie, le public du Vélodrome a profondément changé, usé en particulier par la gestion difficile des années Vincent Labrune-Margarita Louis-Dreyfus. Certains comportements m’as-tu-vu ne sont pas à son goût.

« On ne chante pas, on ne vient que pour les affiches, on se filme avec son portable pour dire “j’y suis”. Avant, il n’y avait pas tous ces calculs : est-ce qu’il ne fait pas trop froid ? Est-ce que demain je ne vais pas avoir mal à la tête au boulot ? »

Dans les années 90, au temps de la splendeur de l’OM, il n’était pas rare de voir les supporteurs prendre place en haut du virage dès 14 heures pour un match prévu à 20 heures. Il fallait être certain de bénéficier d’une bonne place. Le bleu et blanc étaient de rigueur, impossible de voir des survêtements aux couleurs de grands clubs étrangers. « Pour le fameux quart contre Milan, en 91, il y avait la queue à la billetterie. Une fois dans le stade, les gens ne se levaient pas pour aller pisser, de peur de perdre leur place », se souvient Franck.

Lorsque les groupes d’ultras se coordonnaient pour lancer les chants, inspirés du mouvement italien, l’ambiance virait au grandiose. Même les rares personnes, qui n’aimaient pas le foot à Marseille, venaient pour profiter du spectacle des tribunes. Mise à mal par les travaux de rénovation pour le Mondial 1998, l’acoustique du Stade-Vélodrome a été relativement améliorée avec la pose du toit, même si elle n’est pas optimale. « Pour avoir un son parfait, il faudrait une coordination parfaite. Le problème est que, désormais, chaque groupe lance son chant de son côté », regrette le vieil ultra.

« On va leur faire vivre un enfer »

Il faut dire que la répression dans les tribunes, illustrée par la chasse aux fumigènes menée par la Ligue professionnelle de football, n’aide pas la nouvelle génération à rivaliser avec les ambiances du passé. Ce sentiment dépasse le cadre des ultras. René Malleville, supporteur historique, et médiatique, du club, reproche un manque de soutien du nouveau président, Jean-Jacques Eyraud, face à la LFP. « Eyraud ne nous défend pas assez. On colle des huis clos au virage. La Ligue met des amendes à chaque fumi allumé. Faut faire des ronds et on tue l’ambiance. Au Vélodrome, ils n’y arriveront pas ! », s’insurge-t-il. Malgré ce contexte, cet ancien syndicaliste de la RTM (Régie des transports métropolitains) reste optimiste pour l’avenir. Il veut croire que ce quart de finale constitue un déclic.

« Ça va repartir comme il y a vingt-cinq ou trente ans. Il faut un peu de patience. Les jeunes, ils entendent les histoires des grands matchs européens, ils sont impatients de les vivre. Par exemple, mes petits-enfants, qui sont dans la vingtaine, sont assoiffés de ça. »

Un constat partagé par les ultras de la Vieille Garde. Franck fait appel à la récente et courte période sur le banc de Marcelo Bielsa où le public – et l’ambiance – étaient de retour : « Bielsa symbolisait le foot populaire et ambitieux que l’on aime ici. Des anciens, qui avaient déserté le stade, étaient prêts à revenir. A chaque match, c’était plein. Il ne manque pas grand-chose, cette petite étincelle… »

Les joueurs du RB Leipzig sont en tout cas prévenus. Eux qui ont affronté l’enfer du stade de Besiktas, inégalable en Europe, vont devoir composer avec une ambiance des grands soirs au Vélodrome. « Je pense quand même pour parler marseillais que l’on va leur faire vivre un enfer. Si l’OM répond présent dans le premier quart d’heure, montre une envie d’aller en “demi”, le stade va être survolté, prédit le membre de la Vieille Garde, Là oui, si le monsieur a peur d’avoir mal aux oreilles, il ferait mieux de ne pas jouer. »