Quatre jours après les élections législatives en Hongrie – et alors que Bruxelles s’interroge sur une réponse à apporter aux atteintes à l’Etat de droit –, un hebdomadaire proche du pouvoir a publié, jeudi 12 avril, 200 noms de personnalités qu’il accuse d’appartenir à un réseau supposé de « spéculateurs » au service de George Soros, milliardaire américain d’origine hongroise, survivant de la Shoah et philanthrope, âgé de 87 ans.

Le premier ministre Viktor Orban avait affirmé durant la campagne électorale qu’il avait une liste de 2 000 personnes payées pour « renverser le gouvernement et installer un nouvel exécutif acceptable pour George Soros ». Il avait également déclaré qu’il réglerait ses comptes « après les élections, aux niveaux à la fois moral, politique et juridique ». Il n’aura pas mis longtemps à tenir sa promesse.

Dans la liste, figurent en toutes lettres les patronymes d’avocats défendant les droits des demandeurs d’asile et des réfugiés, d’employés d’organisations non gouvernementales (ONG) de renommée internationale, telles que Transparency International et Amnesty International, mais aussi de l’Université d’Europe centrale (CEU), un prestigieux établissement installé en Hongrie depuis 1993. Certaines personnes mises en cause sont de nationalité étrangère, comme le politologue autrichien Anton Pelinka. D’autres sont... décédées.

« Liste conspirationniste de Hongrois brillants »

Deux jours plus tôt, c’est une télévision privée appartenant à un oligarque « proche du gouvernement » selon Andras Lederer, de l’ONG Helsinki Committee, qui avait diffusé les portraits de personnalités issues de la société civile et accusées d’être des « mercenaires » travaillant pour M. Soros.

« Il est très dérangeant de voir de longues listes de représentants de la société civile, d’universitaires et de journalistes dans l’hebdomadaire Figyelo, a réagi sur Twitter l’ambassadrice du Canada à Budapest, Isabelle Poupart. Nous travaillons étroitement avec nombre d’entre eux depuis des années et d’entre eux sont Canadiens. »

Selon son homologue suédois, Niclas Trouvé, il est « très inquiétant qu’un journal publie une liste conspirationniste de Hongrois brillants qui ont fait de grands sacrifices pour leur pays, ses habitants et pour la démocratie ». Ce diplomate assure de son soutien les défenseurs des droits de l’homme et leurs familles.

« C’est une tentative flagrante d’intimidation, a de son côté estimé le recteur de la CEU, Michael Ignatieff. Elle est dangereuse pour la liberté académique. »

Figyelo était un titre économique qui, selon l’agence américaine AP, « a pris un tournant progouvernemental sans vergogne, depuis qu’il a été racheté en décembre 2016 par Maria Schmidt, une historienne alliée de Viktor Orban. Depuis lors, la grande majorité des publicités insérées dans le magazine émanent du gouvernement ou d’entreprises détenues par l’État. »

Interrogé par l’agence de presse, qui voulait savoir si cette liste correspondait à celle évoquée par Viktor Orban auparavant, l’exécutif s’est refusé à tout commentaire. Dans un communiqué, le magazine a qualifié « d’hystériques » les réactions à la publication de son article, puis s’est excusé auprès des familles des morts cités dans la liste. Mais il a aussi déclaré que sa liste était « loin d’être complète ». En langage de journalistes, on appelle ça du « teasing ». Partout ailleurs, c’est aussi une menace.