Le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, lors des questions au gouvernement, à l’Assemblée nationale, le 11 avril. / FRANCOIS GUILLOT / AFP

« Nous vous appelons à ne pas voter cette loi. Il faut cesser cette guerre aux migrants. C’est avec eux que nous ferons la société de demain »… Vendredi matin, ces mots, adressés aux députés, ont résonné au foyer de l’Arve (Paris 15e) pour la deuxième conférence des Etats généraux des Migrations (EGM). Nathalie Péré-Marzano, déléguée générale d’Emmaüs International, a prononcé cet appel au nom de son association ; mais aussi au nom du mouvement national d’associations et de regroupements de citoyens qui chaque jour viennent en aide aux migrants un peu partout en France et se sont réunis dans ces EGM. Un appel qui a déjà été porté localement, mais que les députés ont trop souvent décliné, refusant les rencontres de terrain avec le monde associatif, a regretté David Saunier, de l’Assemblée locale de Caen, au profit ici ou là de la visite plus médiatique d’un centre de rétention.

Pourtant, ce large mouvement populaire, qui regroupe 440 associations nationales, locales ou simples collectifs, aurait aimé leur expliquer qu’il se bat pour une autre politique migratoire que celle du gouvernement. Tous savent bien que le projet de Gérard Collomb, que Vanina Rochiccioli, présidente de Gisti (Groupe d’information et de soutien aux immigrés) qualifie de « texte de police qui ne règle rien », sera voté rapidement.

Mais ils croient que la vision qu’ils portent sera gagnante sur le long terme parce que « dans le projet de loi, il manque le fait de considérer les immigrés comme des sujets et non comme des objets » résumait vendredi Dominique Noguères, vice-présidente de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), qui reste persuadée que « donner des droits aux migrants, ce n’est pas retirer des droits aux Français ». Et si tous savent ce combat contre la vision du ministère de l’Intérieur perdu à court terme, le regroupement d’énergies veut d’abord faire savoir, à ceux qui en doutaient, que l’accueil est possible dans la France de 2018.

Alors, sur le terrain, autour des hébergements, des campements, le long des frontières aussi, chaque jour des bénévoles nourrissent, soignent, aident au quotidien des nouveaux venus à qui l’administration n’offre pas de protection. Comme l’a déploré Patrick Bouffart, médecin pour Médecins du Monde, « on gère aujourd’hui dans les rues la sous-humanité qu’on a créée, l’auto exclusion qui se développe et se développera encore, car la loi qui passe au parlement est pathogène »… C’est de tout cela, qu’ils veulent témoigner.

Depuis six mois, un mouvement en construction

Si l’histoire de ces Etats Généraux des Migrations (EGM) commence bien avant, elle se concrétise le 21 novembre 2017, lorsque plus de 440 associations signent l’appel à construire ce vaste mouvement. La journée des migrants a marqué le premier pic d’actions en fin d’année dernière, et cette fois, alors que la loi asile immigration arrive en discussion à l’Assemblée nationale, à compter de lundi 16, les opérations de sensibilisation vont se multiplier partout en France. Plus de 250 sont d’ores et déjà prévues, de tailles et de formes différentes, alliant les rendez-vous festifs et les interpellations du public sous diverses formes.

« Nous remplissons des cahiers de doléances qui seront réunis lors des journées nationales à Paris les 26 et 27 mai », rappelle Marc Pascal du collectif Tous Migrant en Savoie, qui a aussi élaboré un guide à l’intention des élus. « Il faut aller au-devant du public, leur proposer de venir avec nous car un tiers des Français n’est ni favorable ni opposé à l’aide au migrant, c’est ce groupe qu’il faut faire basculer vers l’accueil », ajoute-t-il.

Parce que les Etats Généraux regroupent des organisations de tailles très différentes, les organisateurs ont du mal à avancer un nombre de participants à cette aventure. « Nous avons mené 89 concertations dans 69 départements, résume pour sa part Nathalie Péré-Marzano et chacune regroupait des 10 à 70 associations ». En recalculant cet engouement, les organisateurs arrivent à un total de 20 000 personnes très impliquées dans les Etats Généraux et de « beaucoup plus si l’on veut compter tous les membres des associations et des collectifs concernés », rappelle Dominique Noguères, vice-présidente de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH). « S’il nous est difficile de comptabiliser le total des gens , parti prenante d’une ou l’autre des activités des Etats Généraux, il est certain que vous ne trouverez pas d’équivalent en termes de mobilisation nationale sur d’autres causes récemment » insiste-t-elle.

Des drames nationaux, des solutions européennes

Tous ont conscience d’être embarqués dans un projet de longue haleine, qui commence déjà à s’ouvrir à l’international avec l’implication de quelques autres mouvements européens. Car en la matière la solution ne sera pas franco-française. Pourtant, les drames, eux se vivent au quotidien sur notre territoire. Marc Pascal, de Tous Migrants 73, a raconté comment les migrants qui occupaient la gare SNCF de Briançon, pour lutter contre le gel qui sévit encore en avril, ont été évacués par les CRS cette semaine. Les ports de Cherbourg et Ouistreham, eux, attirent les migrants qui ont espoir de rejoindre l’Angleterre et David Saunier, de l’Assemblée locale de Caen, y constate une dégradation des conditions de vie, désormais « inexistantes » qu’on offre là-bas (et ailleurs) aux mineurs isolés, grands absents du texte de loi. À Toulouse, où des hommes seuls dorment dans un squat, sans chauffage, l’Union des étudiants toulousains (UET), de l’université Jean-Jaurès bloquée depuis le 6 mars, ont décidé de faire venir ces Afghans, Guinéens et Congolais, dans leurs locaux, à la fin de la trêve hivernale…

Pour autant, aider des immigrés n’est pas sans risques, et ce dévouement peut être passible du délit de solidarité. Selon l’article L622-1 du code d’entre, deçu séjour des étrangers (Ceseda), « toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d’un étranger en France » encourt jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. Les EGM s’insurgent contre l’application de ce texte, prévu pour rester dans la loi Collomb, même si un amendement doit en adoucir les contours.