Reportage TF1 à 13 h 30

Des manifestantes à Paris, le 1er mai 1968. / JACQUES MARIE / AFP

Al’heure où le cinquantenaire des événements de Mai 68 est célébré par de nombreux programmes télévisés, ce numéro de « Grands reportages », Avoir 20 ans en 68, diffusé dans la foulée du journal de 13 heures, pourrait disparaître dans la masse. Mais il prend un biais qui n’est pas ordinaire, laissant la parole aux anciens contestataires, mais aussi à la police, aux journalistes, à des membres de la Croix-Rouge, à des ouvriers et des témoins « anonymes ». Ils avaient tous, à l’époque, plus ou moins 20 ans.

Les grandes lignes de Mai 68 sont rappelées, du 22 mars – les événements démarrent à l’université de Nanterre – jusqu’à la Pentecôte, quand tout le monde part se mettre au vert après ces semaines de grève et de combats de rue qui firent du Quartier latin, à Paris, un « véritable champ de désolation ». Ce seront, rappelle Charles Diaz, historien de la police, 2,5 millions de nouveaux francs (une somme colossale) de dégâts chiffrés par la Mairie de Paris : 200 arbres détruits, 10 000 mètres carrés de pavés arrachés, des vitrines brisées, des voitures incendiées, etc.

Du sang et des larmes

Les affrontements auront été rudes, même si le préfet de police, Maurice Grimaud, avait demandé qu’on évite la violence. Pour lui, « taper un manifestant au sol était contraire à l’honneur de la police et contre-productif », rappelle l’historien. Gilles Schneider, alors journaliste à Europe 1, qui diffusait en direct depuis la Citroën DS break de la station ses reportages, décrit le préfet comme un « homme très chaleureux, très à l‘écoute, pour l’apaisement. »

Pourtant, les CRS tapaient dur – ce dont témoignent les nombreuses archives filmées. La journaliste Annette Lévy-Willard raconte que, selon elle, les CRS « étaient complètement beurrés… Ils attendaient pendant des heures dans leurs cars et on les arrosait, comme en 14-18 ».

Un ancien CRS, 27 ans à l’époque, détaille la maigre protection de sa tenue et évoque les clavicules cassées dans les rangs policiers. « Le sang et les larmes étaient partout », se souvient un jeune membre de la Croix-Rouge, 18 ans tout juste lorsqu’il fut dépêché pour soigner les blessés (3 000 recensés en 31 jours d’affrontements).

Souvenirs doux-amers

Certains anciens de Mai 68 retournent sur les lieux de leur repliement : dans cette salle de classe de la Sorbonne qui servait de dortoir, de cuisine et de QG, ou dans la cour de l’établissement, une véritable « foire » où tout le monde parlait à tout le monde.

Ou presque : Annette Lévy-Willard se souvient que les filles s’étaient senties mises à l’écart par les garçons, qui dominaient les débats. D’où la création, dans le sillage de Mai 68, du Mouvement de libération des femmes (MLF).

Les anciens de Mai 68 interrogés dans ce documentaire gardent un souvenir doux-amer de cette période. « On ne savait pas trop où cela nous menait, mais on savait qu’il y aurait un avant et un après », dit cette ancienne étudiante de la Sorbonne. Cependant, ajoute Annette Lévy-Willard, « si l’on a beaucoup rigolé, la gueule de bois a été lourde »

Plus encore quand les étudiants, lâchés par les ouvriers (qui avaient obtenu gain de cause pour leurs revendications syndicales, essentiellement salariales) dont ils espéraient le ralliement idéologique, ont vu la grande manifestation du 30 mai en faveur du général de Gaulle leur signifier que le changement n’était pas tout à fait pour maintenant.

Avoir 20 ans en 68, de Philippe Poiret (Fr., 2018, 60 min).