Au mégaphone, un étudiant explique pourquoi les opposants à la loi Vidal bloquent l’accès au bâtiment de droit et de sciences politiques, où devaient se tenir des partiels, lundi 16 avril. / Soazig Le Nevé

Prestement, l’étudiant saisit la table renversée qui bloque l’accès à la fac de droit. Aussitôt la rumeur gronde : « Non ! Arrêtez-le ! » Deux secondes plus tard, il se retire, sa tentative ayant échoué. Une voix s’élève par-derrière : « On veut nos partiels, putain ! » L’ambiance est électrique, lundi 16 avril, à Nanterre. Il est 8 heures, et des centaines d’étudiants viennent d’apprendre que leurs partiels n’auront pas lieu, du fait du blocage organisé pour protester contre la réforme de l’accès à l’université.

« Je ne me suis pas fait chier à bosser pendant trois mois pour être stoppée le jour J devant la salle d’examen ! » Inès, étudiante en 3e année de droit, fulmine. La jeune femme, debout depuis 6 heures du matin pour passer ses partiels, a commencé la journée par deux heures de transports en commun avant d’échouer, comme plusieurs centaines de ses camarades, devant les portes fermées du bâtiment de droit. Au mégaphone, un leader du mouvement problocage explique : « Nous bloquons l’entrée, car nous demandons l’annulation de nos partiels et leur validation automatique pour ne pas pénaliser les étudiants tant qu’il y a grève. » Des huées s’ensuivent : « Ouh ! Tais-toi sale gauchiste de merde ! Nos partiels ! »

« En somme, ceux qui auront bossé et ceux qui n’auront rien fait auront la même note… Ce n’est pas juste », estime Anaelle, en deuxième année de double licence économie-allemand. Pis, « cela va complètement décrédibiliser nos diplômes, ajoute Guillaume, et lorsqu’on arrivera à la porte d’un master et qu’on candidatera avec notre diplôme de Nanterre, en concurrence avec des étudiants d’autres universités, qui sera reçu ? »

La méthode des bloqueurs est trop « radicale », selon Samadhi, en L3 de psychologie : « Les bloqueurs disent qu’ils se battent pour nos intérêts mais, en fait, ils ne respectent pas un instant ceux qui veulent passer et obtenir leurs examens. » « Ils ont le droit de manifester, et nous avons le droit d’étudier », témoigne également Guillaume, en 1re année de psychologie.

Alignés et solidaires entre eux, les dizaines d’étudiants qui barrent l’entrée de la fac entonnent leur refrain « Facs ouvertes aux enfants des quartiers ! Facs fermées aux intérêts privés ! » Pour faire baisser la tension, Pascal Beauvais, codirecteur de l’UFR de droit et sciences politiques, demande à parler dans le mégaphone. « Il faut rester calme. S’il vous plaît, respectez les points de vue qui sont légitimes des deux côtés. La situation est délicate, il ne faut pas tomber dans des échauffourées entre nous. »

En tout point du campus, les entrées des bâtiments sont barricadées de chaises et de tables. Seule la bibliothèque universitaire (BU) ouvre ses portes à 8 h 30, drainant un flux d’étudiants dépités. « Nos universités ont du talent ! », rigole un étudiant devant la BU. Il rejoint un groupe de filles en train de parler de l’interview télévisée du chef de l’Etat la veille au soir. « Il ne sait vraiment pas nous parler, Macron, tranche une étudiante. Moi, je ne dis pas qu’il faut tout bloquer tout le temps, je dis qu’on doit nous écouter. Ils ne comprennent pas ça au gouvernement. J’en ai parlé une heure avec ma mère, elle était d’accord. »

Mais alors, comment finir et valider cette année d’études ? Les questions fusent et restent sans réponse parmi les étudiants interrogés. « Les partiels pourraient être reportés à l’été », envisage une étudiante. « Moi, j’ai bossé pour être en mesure d’avoir mon diplôme maintenant. J’ai trouvé un stage en entreprise en juin, du travail durant l’été… Je devrais recommencer ? Lâcher mon stage ? Mon job ? Pourquoi ? s’étrangle Inès. Je veux passer mes partiels, comme les trois quarts de la fac. »

Bloquer la fac de droit, une opération stratégique

Un peu plus loin, devant le bâtiment réservé à la formation continue, on est en plein conciliabule. Un étudiant tente de justifier le mouvement auprès d’une dizaine de salariés, dont la formation est annulée. « Ma tante, qui est professeure à la faculté de Saint-Etienne, m’a dit que pour sélectionner, les profs allaient jusqu’à regarder les notes qu’avait le candidat au collège ! Elles étaient bonnes vos notes au collège, vous ? On va priver des jeunes de faire des études alors que l’université est le lieu du partage des savoirs. » L’échange est courtois, mais l’auditoire n’est pas convaincu. « Vous nous empêchez de suivre une formation en vue d’une reconversion professionnelle. On vient de province et ça nous coûte cher. Vous n’avez pas conscience de cela », reproche une femme avec amertume.

Aux yeux de Yaël et Adem*, la matinée est un succès. « Bloquer l’accès de la fac de droit et ses 15 000 étudiants, c’est stratégique », explique la première. Cela élargit un mouvement jusqu’ici cantonné à l’UFR Phillia (arts, lettres, langues) et aux SSA (sciences sociales et administration). « Depuis l’intervention des CRS le 9 avril, personne ne peut avoir la tête à passer ses partiels. C’est d’ailleurs pour ça que les profs réunis en AG le 12 avril ont voté pour l’attribution d’un 20/20 politique pour les partiels », complète Adem.

Décidés à voter la poursuite du blocage lors de l’assemblée générale prévue mardi 17 avril à 10 heures, et à obtenir l’annulation de la tenue de tous les examens prévus cette semaine, les bloqueurs déployés sur le campus demandent en sus la démission du président de l’université, Jean-François Balaudé. « Sa communication mensongère, nous n’en voulons plus », clame Yaël, en référence à l’appel aux CRS le 9 avril, que le président avait justifié par la présence d’« individus non identifiés », et qui s’était soldé par sept interpellations. « C’est faux, ce sont des étudiants, nous les connaissons bien », martèle la jeune fille.

Dans le bâtiment E occupé nuit et jour par 60 à 200 étudiants, la presse n’a pas le droit de pénétrer. « Nous avons eu trop de problèmes avec des propos déformés. Et puis nous ne pouvons pas nous exposer davantage en photo, car on reçoit des menaces quotidiennes de groupes fascistes. C’est devenu dangereux pour nous », explique Yaël.

Elle qui a fait ses premiers pas d’étudiante à Nanterre en auditrice libre parce qu’à 18 ans elle ne savait pas quelles études embrasser, voudrait que l’université ouverte qu’elle affectionne ne puisse jamais fermer ses portes à quiconque. C’est le message qu’elle est allée porter le 13 avril devant les grilles de plusieurs lycées. « Les lycéens ne se rendent pas compte de ce qui s’annonce. Ils sont super stressés par Parcoursup et se contentent de faire scrupuleusement ce que leurs professeurs leur disent. C’est dur pour eux de se mobiliser », reconnaît la jeune fille.

Yaël et Adem font le pari que leur mouvement à eux est « construit et unifié ». « Contrairement aux lycéens, nous avons les moyens de faire pression. Ce que nous vivons dans le bâtiment que nous occupons, c’est une forme alternative d’éducation. Les professeurs nous demandent de faire des listes de sujets de cours qu’ils dispensent ensuite, et nous vivons en autogestion. Cela donne de l’espoir à tous. »

A tous, ou presque. A deux pas de là, une étudiante est affairée à coller des affiches sur les murs du bâtiment autogéré. Comme si de rien n’était, l’association des étudiants en droit La Vieille de Nanterre annonce la tenue de son gala annuel, le 18 mai. Ce soir-là doit s’achever la principale période de partiels, censée débuter le 2 mai, et dont l’avenir paraît incertain.

*Les prénoms ont été modifiés.