Ce fut une annonce pleine d’espoir. Le président soudanais, Omar Al-Bachir, a ordonné mardi 10 avril la libération « de tous les détenus politiques » dans son pays avec pour objectif de promouvoir « la paix au sein de toutes les formations politiques ». Une semaine plus tard, « une cinquantaine de personnes ont été libérées, dont des chefs politiques et représentants de la société civile », arrêtés en janvier lors de protestations contre la hausse des prix, raconte Rashid Saeed Yagoub, rédacteur en chef de la lettre d’information TTU.

En janvier, les Soudanais avaient marché dans plusieurs villes du pays pour dénoncer la hausse des prix entraînée par l’augmentation des tarifs douaniers sur les produits importés. Des centaines de manifestants avaient été emprisonnés. Parmi eux, des étudiants, des militants des droits humains et des dirigeants de l’opposition, dont le secrétaire général du Parti communiste soudanais, Mokhtar Al-Khatib, et Khaled Omar, du parti du Congrès soudanais.

« Avec ces manifestations contre la politique d’austérité mise en place par Omar Al-Bachir, l’opposition veoulait jouer la carte de la rue et renverser le régime, estime Mohamed Naji, rédacteur en chef de Sudan Tribune, un journal en ligne basé à Paris. C’est pourquoi des opposants ont été mis en prison. »

« Un problème d’image »

Quelques jours avant les premières libérations effectives, Marc Lavergne, directeur de recherche au CNRS et fin connaisseur du Soudan, considérait que « c’est toujours un signe de faiblesse pour le gouvernement soudanais quand il lâche du lest », même si la libération de quelques prisonniers politiques demeure avant tout une façon pour le régime d’Omar Al-Bachir, au pouvoir depuis 1989, de « redorer son blason à la fois à l’intérieur du pays, en montrant sa démarche d’ouverture, et vis-à-vis de la communauté internationale ».

D’autant que le Soudan a pris ces derniers temps des positions diplomatiques déroutantes. « Il participe à la guerre au Yémen derrière l’Arabie saoudite. Et maintenant, il se rapproche de la Turquie et du Qatar, l’ennemi de l’Arabie saoudite. Cette stratégie, qui consiste à essayer de ménager la chèvre et le chou, est vouée à l’échec », juge Marc Lavergne. Sur le plan intérieur, « la guerre contre des populations civiles se poursuit au Darfour ou au Nil bleu, mais ce qui se passe dans les campagnes importe peu à ce pouvoir, tandis que ce qui se passe en ville pose un problème d’image », dit encore le chercheur.

Privé de la manne pétrolière venue de son voisin en guerre, le Soudan du Sud, Omar Al-Bachir semble chercher des échappatoires. « Il essaye de trouver des alliés pour contenter la population, mais ça ne suffira pas, commente Marc Lavergne. Les jeunes n’ont pas de débouchés, la situation dans le pays est insupportable pour eux. En témoignent les départs massifs vers les pays du Golfe et vers la France. »

Il faut signaler que, comme le rappelle Mohamed Naji, l’ouverture à la démocratie est aussi minimal qu’intéressé . « Le gouvernement, même s’il n’est pas prêt à lâcher le pouvoir, aspire à ce que les opposants participent aux élections de 2020, dit-il. C’est un jeu : chacun cherche à s’emparer du pouvoir et le régime donne au compte-gouttes. » De fait, des libérations de détenus politiques, dont certaines figures de l’opposition, ont déjà eu lieu en mars. « Omar Al-Bachir essaye de faire ce qu’il a toujours réussi à éviter : un rapprochement avec l’opposition, de manière à la diviser, confirme Marc Lavergne. La libération des prisonniers n’est pas du tout une ouverture politique, c’est une volonté d’élargir un peu le cercle afin de rester au pouvoir. »

Pour Marc Lavergne, même si la libération d’opposants a un effet symbolique, le gouvernement soudanais ne va « certainement pas lâcher quoi que ce soit sur le plan politique réel : ni le pouvoir, ni l’appareil de sécurité ». Une fois l’image d’ouverture donnée et les premières négociations amorcées, « le gouvernement fera durer les choses », prédit-il : « Il a toujours usé d’atermoiements et a toujours réussi à gagner du temps. »