Editorial du « Monde ». Pour sa première opération militaire engageant des forces françaises sur un théâtre extérieur – les frappes menées conjointement avec les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, le 14 avril, contre des sites de production d’armes chimiques en Syrie –, le président de la République n’a pas pu compter sur l’union nationale. Une fois saluée la performance des militaires engagés dans cette intervention délicate, tous les partis d’opposition, de gauche comme de droite, ont mis en cause les conditions diplomatiques de l’engagement français et sa pertinence politique pour l’avenir.

Hormis le soutien de la majorité présidentielle (La République en marche et les centristes), le premier ministre, venu défendre l’initiative française, s’est retrouvé sous le feu des critiques lors du débat sur cette opération – un débat sans vote – organisé à l’Assemblée nationale et au Sénat, lundi 16 avril.

Sur tous les bancs des oppositions (Les Républicains, Front national, France insoumise, socialistes, communistes), le principal grief a porté sur la décision d’agir sans mandat de l’ONU, où le Conseil de sécurité est paralysé par le veto russe. De toute évidence, sur ce point, l’argument de la « légitimité internationale », à défaut de « légalité », défendu dimanche soir par M. Macron au cours de son entretien télévisé, n’a pas convaincu. Cette action hors du cadre légal international est une « première dans l’histoire contemporaine de la France », a dénoncé Valérie Rabault au nom du PS.

L’influence de la Russie

Autre angle d’attaque, développé par le président des Républicains, Laurent Wauquiez, et le président de son groupe à l’Assemblée nationale, Christian Jacob : « l’absence de stratégie » de la France en Syrie, son « alignement sur les Etats-Unis » et l’isolement qui en résulterait sur la scène proche-orientale. L’argument est discutable. En matière d’alignement sur les Etats-Unis, les ténors de la droite semblent avoir oublié que c’est Nicolas Sarkozy qui avait décidé, en 2009, la réintégration de la France dans les organisations militaires de l’OTAN. En outre, loin de suivre Washington, la France a plutôt été dans un rôle de leadeur sur la Syrie, y compris sous la présidence de François Hollande, mais elle n’a pas les moyens d’agir militairement seule. Par ailleurs, l’intervention du 14 avril, menée par trois des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, a reçu le soutien de l’Union européenne et de l’OTAN.

Mais la critique la plus contestable porte sur l’absence de preuves de la responsabilité du régime syrien dans l’attaque chimique contre les civils de Douma, le 7 avril. Mise en avant, notamment, par Marine Le Pen, la présidente du FN, qui déclare « ne faire confiance qu’aux inspecteurs internationaux arrivés sur le terrain pour faire une enquête », cette attitude est dans le droit fil de la thèse des autorités russes. Pour Moscou, l’attaque chimique du 7 avril tantôt n’a tout simplement pas eu lieu, tantôt a été montée de toutes pièces par les Britanniques. L’influence de la Russie dans les milieux politiques français, de toute évidence, ne faiblit pas, quand bien même M. Macron se montre déterminé à maintenir le dialogue avec Vladimir Poutine.

Cette désunion politique française, paradoxalement, contraste avec le débat qui s’est tenu au même moment de l’autre côté de La Manche, à la Chambre des communes, où le chef du Parti travailliste, Jeremy Corbyn, opposé aux frappes, s’est trouvé très isolé, y compris dans son propre camp.