Affaire Cambridge Analytica : pourquoi c’est grave pour Facebook et ses utilisateurs
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Les derniers chiffres annoncés par Facebook donnaient le vertige : jusqu’à 87 millions d’utilisateurs auraient pu voir leurs données siphonnées, indirectement, par Cambridge Analytica, une entreprise britannique spécialiste de l’influence politique. Mardi 17 avril, une ancienne responsable de l’entreprise, Brittany Kaiser, a laissé entendre, devant les députés britanniques, que ce chiffre pourrait être bien plus élevé encore.

Il faut pour cela rappeler la façon dont a procédé Cambridge Analytica pour mettre la main sur ces données. L’entreprise est passée par un sous-traitant, Global Science Research (GSR), une société appartenant au chercheur Aleksandr Kogan. Celle-ci a conçu une application de quiz pour Facebook appelée « thisisyourdigitallife ». Elle ne se contentait pas d’enregistrer les réponses aux questions des internautes : elle aspirait au passage leurs données, mais aussi celles de leurs amis Facebook. L’application a été installée par 305 000 personnes dans le monde, selon Facebook, touchant par ricochets 87 millions d’utilisateurs.

Or, a expliqué Brittany Kaiser dans son témoignage écrit au Parlement, « ce n’étaient pas les seuls questionnaires et lots de données liés à Facebook que Cambridge Analytica utilisait. Je sais que, plus généralement, un grand éventail de sondages ont été menés par Cambridge Analytica ou ses partenaires ». Celle qui était, jusqu’au début de l’année, directrice du développement de Cambridge Analytica, reste relativement imprécise. Mais, selon elle, le scandale pourrait être plus grave qu’annoncé :

« Je crois qu’il est quasi certain que le nombre d’utilisateurs de Facebook dont les données ont été compromises par les moyens similaires à ceux utilisés par Kogan est bien plus élevé que 87 millions. »

Brittany Kaiser dit par exemple avoir eu connaissance d’un quiz sur la sexualité ou d’un autre sur « la personnalité musicale » des utilisateurs. « On peut donc en déduire que les données de bien plus d’individus ont été compromises. »

Dans un communiqué transmis au Guardian, Facebook explique qu’il continue à enquêter sur « toutes les applications qui ont eu accès à une grande quantité d’informations » avant que l’entreprise limite cette pratique en 2014. « Nous conduirons un audit complet de toute application ayant eu une activité suspecte. Et si nous trouvons des développeurs qui ont mal utilisé des informations personnelles, nous les bannirons et préviendrons toutes les personnes concernées. »

Des groupes pro-Brexit intéressés

Brittany Kaiser, ancienne cadre de Cambridge Analytica, a témoigné devant des députés britanniques. / HANDOUT / REUTERS

Les députés de la commission du numérique de la Chambre des communes ont aussi tenté de savoir si Cambridge Analytica avait pu venir en aide au camp du oui dans le cadre du référendum sur le Brexit.

Brittany Kaiser a expliqué que l’entreprise avait rencontré à plusieurs reprises des représentants du parti europhobe UKIP et de l’organisation Leave.EU, tous deux pro-Brexit, mais aussi du groupe Eldon Insurance, propriété de l’homme d’affaires Arron Banks, soutien financier du UKIP et cofondateur de Leave.EU.

L’entreprise leur a présenté « une stratégie très détaillée » sur la façon dont les pro-Brexit pourraient utiliser des données pour cibler efficacement les électeurs. Sans que cela dépasse pour autant, à sa connaissance, la « phase 1 ». Selon elle, Cambridge Analytica n’aurait finalement pas collaboré avec ces organisations. En revanche, l’ancienne cadre estime qu’il est probable que les responsables de Leave.EU aient ensuite créé « leur propre Cambridge Analytica », baptisé « Big Data Dolphins », sur la base de propositions fournies par la société –ce qui signifierait que les données des électeurs britanniques auraient tout de même pu être utilisées à des fins d’influence politique dans le cadre de la campagne du Brexit.

Après ces déclarations, Leave.EU a dénoncé dans un communiqué reçu par l’Agence France-Presse une « litanie confuse de mensonges ». « Nous réfutons catégoriquement toutes ses déclarations ». Cambridge Analytica, de son côté, reconnaît avoir été en contact avec des organisations pro-Brexit, mais assure « ne pas avoir été impliqué à quelque titre que ce soit » dans le référendum.

Son ancien directeur, Alexander Nix, devait être entendu à son tour mercredi devant la commission parlementaire. Mardi, il a finalement annoncé qu’il s’y refusait. « La commission va le convoquer à une date prochaine », a annoncé son président, Damian Collins.