Photo d’illustration. / JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP

Après une multiplication des accidents à Paris, des patrons de clubs ont récemment alerté les pouvoirs publics face à la consommation grandissante de GBL, un solvant industriel cousin du GHB, utilisé comme drogue. Le docteur Patrick Nisse, praticien hospitalier au centre antipoison et de toxicovigilance de Lille, revient sur son utilisation détournée.

Qu’est-ce que le GBL ?

La gamma-butyrolactone (GBL) est un précurseur chimique du gamma-hydroxybutyrate (GHB). Contrairement au GHB, un produit purement médicamenteux classé sur la liste des stupéfiants depuis 1999, le GBL est un solvant industriel très répandu. Mais une fois ingéré, il est métabolisé en GHB par le corps humain, c’est pourquoi son usage a été détourné en drogue.

Comment peut-on expliquer qu’un solvant industriel soit aujourd’hui consommé comme une drogue similaire au GHB ?

Tous les toxicomanes sont des bons chimistes. Dès le moment où le GHB a été classé comme stupéfiant, une partie des consommateurs de cette drogue s’est repliée vers le GBL. Ils savaient qu’en absorbant du GBL, dans les secondes qui suivent vous avez du GHB qui circule dans le sang et qu’on ne retrouve pas de trace du produit d’origine.

Un arrêté de 2011 interdit la vente et la cession de GBL au public. Pourquoi n’a-t-il pas été classé sur la liste des stupéfiants ?

Le GBL est un produit très utilisé dans l’industrie de la peinture, notamment, et il n’existe pas vraiment de produit de substitution. On le retrouve partout : dans la composition de vernis, de nettoyants automobiles, de dissolvants à colle mais aussi en cosmétologie. Il y a du GBL à des doses relativement faibles dans les dissolvants de vernis à ongles, par exemple.

Le classer en stupéfiant serait donc incompatible avec son utilisation dans l’industrie. Cette classification entraîne de nombreuses contraintes, avec une surveillance particulière des entrées et sorties de ces produits, et un stockage très réglementé.

Pour répondre à l’usage détourné de ce solvant, la seule option des pouvoirs publics a donc été cet arrêté de 2011, qui interdit la vente et la cession au public du GBL à une concentration supérieure à 10 % et pour des contenants de plus de 100 ml.

En 2015, vous estimiez que cette interdiction de vente au public n’avait pas eu d’effet sur la consommation détournée de GBL. Sept ans après l’arrêté, le bilan a-t-il changé ?

Au niveau des centres antipoison, on constate une continuité des appels au fil des années. Des membres des secours nous contactent toujours autant quand ils veulent savoir comment prendre en charge une personne ayant ingéré du GBL. L’arrêté n’a rien changé, il n’a ni freiné ni encouragé la consommation du GBL.

Sur la période 2016-2017, on remarque cependant un nombre de cas faramineux dans le centre antipoison parisien. Des chiffres en explosion qu’on ne retrouve pas dans les autres régions, hormis peut-être en Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Surtout, il ne faut pas oublier que nous sommes contactés uniquement quand quelqu’un a eu des effets indésirables après avoir ingéré un produit, donc on n’a pas connaissance de toute la consommation.

On évoque particulièrement une consommation récréative importante chez les jeunes. Pourquoi sont-ils particulièrement attirés par cette drogue ? Sont-ils conscients des risques ?

C’est une certitude que les moins de 25 ans sont très concernés par le GBL. C’est déjà une question de prix : le coût est très faible – une dose coûte environ 7 centimes à l’usager. De plus, on leur présente ça comme un produit qui n’est pas clairement illégal, ce qui peut être tentant. Elle a aussi l’image d’une drogue aphrodisiaque, mais c’est faux. Ça lève les inhibitions donc ça favorise les relations, mais ce n’est pas chimiquement aphrodisiaque.

Mais il ne faut pas oublier que le dosage est très important quand on n’est pas habitué. Les effets peuvent être importants à partir de 1 ml, c’est infime. A titre de comparaison une cuiller à café c’est 5 ml. Chaque personne peut courir des risques différents selon son métabolisme, son poids… De plus, le mélange avec l’alcool multiplie les effets dépresseurs neurologiques et entraîne plus facilement l’arrêt respiratoire et les convulsions.

Enfin, il ne faut pas oublier le risque d’addiction. On a des personnes qui en prennent tous les jours, pour être bien dans leur peau ou pour d’autres raisons, et dans ces cas il est clair qu’il y a un vrai syndrome de manque.