Devant les députés, lundi 16 avril, le premier ministre, Edouard Philippe, est venu affirmer que l’opération militaire menée par la France, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne le 14 avril avait été un « succès opérationnel ». Mais pour Olivier Lepick, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), « il y a une différence entre la notion de réussite politique et l’effectivité opérationnelle sur le terrain ».

Quelques heures après les frappes menées par les forces américaines, britanniques et françaises en Syrie, le ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a affirmé, samedi 14 avril, qu’une « bonne partie de l’arsenal chimique syrien a été détruit » dans l’opération contre trois sites, dont un centre de recherche. Peut-on être aussi affirmatif ?

C’est très imprudent de l’être. Il y a une différence entre la notion de réussite politique et l’effectivité opérationnelle sur le terrain. D’abord parce que le régime syrien connaissait depuis un certain nombre d’heures les cibles des frappes : s’il y avait effectivement des stocks précieux pour le régime, il paraît peu crédible que celui-ci n’ait pas évacué, au moins partiellement, les sites.

Surtout parce que la plus grande partie de la centaine d’attaques chimiques menées par la Syrie depuis le début du conflit ont été faites avec du chlore, qui n’est pas un agent chimique militaire sur la liste 1 de l’OIAC [Organisation pour l’interdiction des armes chimiques], mais un agent toxique industriel, que l’on peut transformer ensuite en arme chimique rudimentaire. Or le chlore est trouvable partout dans le commerce, c’est donc impossible de dénier à un Etat le droit d’en posséder, et encore moins de supprimer tous les stocks d’un pays.

Aujourd’hui la Syrie a donc toujours la possibilité de mener des attaques chimiques contre sa population ?

Si ce n’est la dissuasion diplomatique, rien n’empêche le régime syrien de mener une nouvelle attaque chimique demain. De manière très simple, avec du chlore, puisqu’on en trouve dans énormément de produits du quotidien. Tout est ensuite une question de dosage.

Concernant les autres agents toxiques, et notamment les neurotoxiques tels que le gaz sarin, on sait que la Syrie, malgré son engagement à détruire son stock sous le contrôle de l’OIAC en 2014, a toujours des réserves. Il y a eu des preuves d’utilisation depuis, notamment à Khan Cheikhoun en avril 2017, ainsi que des incohérences de la part du régime sur son arsenal militaire.

Le stock résiduel syrien a été évalué par les services de renseignement à une trentaine de tonnes. On ne sait pas précisément où se trouvent ces stocks. C’est possible qu’une partie se trouvait dans les sites visés par les frappes occidentales. Mais quelques dizaines de litres de gaz sarin suffisent à provoquer d’importants dégâts dans des populations civiles, donc il est hautement improbable que le régime syrien n’ait plus de capacité d’attaque.

Lire l’éditorial du « Monde » : Frappes en Syrie : mission à accomplir

Certains affirment qu’il n’y avait pas d’agents toxiques stockés sur les sites visés, car il n’y a pas eu de nuage toxique. Est-ce un argument crédible ?

Faire croire qu’il n’y aurait pas eu d’agents toxiques sur ces sites parce qu’il n’y aurait pas de rejets dans l’air, c’est tordre une réalité technique dans un intérêt politique. Cela fait partie de la longue liste des fantasmes complotistes qui pullulent sur le dossier syrien. On parle ici de produits extrêmement fragiles, très sensibles aux hautes températures, pour lesquels la très forte chaleur dégagée par l’explosion des missiles est donc destructrice. Quand bien même il y aurait eu un stock très important, le dégagement aurait été très modéré.

Syrie : "Cette intervention n’est pas le prélude d’une guerre", insiste Edouard Philippe à l'Assemblée nationale
Durée : 01:39