Apeine les combats y ont-ils cessé qu’une nouvelle bataille a éclaté à Douma. Le chef-lieu de la Ghouta orientale, la banlieue est de Damas, reprise par l’armée syrienne, est l’objet d’un nouveau bras de fer, opposant le régime Assad et son allié russe aux puissances occidentales.

Au centre de cet affrontement, la mission de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), chargée d’enquêter sur l’attaque au gaz présumée du 7 avril à Douma, qui a provoqué les raids menés samedi 14 avril, par les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni, contre trois sites syriens de production et de stockage d’armes chimiques.

Arrivés à Damas quelques heures après les bombardements des alliés, les inspecteurs de l’OIAC n’étaient pas encore entrés dans Douma, mercredi 18 avril au matin, au grand dam de Washington et Paris, inquiets que des pièces à conviction disparaissent du site de l’attaque, désormais sous le contrôle des forces prorégime.

Une quarantaine d’habitants de la ville sont morts d’asphyxie, ­samedi 7 avril, dans ce que les ONG médicales présentes sur place, proches de l’opposition syrienne, ont décrit comme une attaque au chlore, dont l’inhalation peut causer la mort dans certaines circonstances, et au sarin, une substance létale. Le régime Assad a déjà fait usage par le passé de ces deux agents chimiques à des fins militaires. L’OIAC a pour mandat de vérifier ces allégations, mais n’est pas habilitée à désigner le responsable de l’attaque.

Mardi, selon l’ambassadeur syrien aux Nations unies, Bachar Jaafari, seule une équipe de sécurité de l’ONU a pu pénétrer dans Douma. Ce retard a suscité une passe d’armes entre Paris, Washington et Moscou, les deux premiers reprochant à la Russie de barrer délibérément la voie aux enquêteurs, le temps d’altérer le site de l’attaque. Moscou, protecteur du régime Assad, qui s’est engagé à « ne pas s’ingérer » dans le travail de l’OIAC officiellement invitée par les autorités de Damas, a affirmé que les experts pourraient accéder au terrain mercredi.

La porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova, a ­imputé la lenteur de leur déploiement au fait que l’ONU « souhaitait avoir des garanties supplémentaires de sécurité ». Reprochant au Quai d’Orsay de parler au nom de l’OIAC, elle a ajouté que « si les inspecteurs avaient fait face à des problèmes, ils auraient fait eux-mêmes une déclaration à ce sujet ».

« Mission très compliquée »

L’éventualité d’une altération du site de l’attaque et les onze jours qui se sont écoulés depuis celle-ci pourraient rendre la tâche des enquêteurs particulièrement ardue. « Comme pour toute scène de crime, il est fondamental d’arriver le plus vite possible sur les lieux. Là, il y a déjà un délai qui est très au-delà de ce que prévoient les statuts de l’OIAC [vingt-quatre à quarante-huit heures] », a confié, à l’Agence France-Presse, Olivier ­Lepick, de la Fondation pour la recherche stratégique. Il évoque « une mission sinon impossible, du moins très compliquée ».

« Se rendre sur place dix jours après, c’est tard, mais ce n’est pas trop tard », nuance Ralf Trapp, consultant en désarmement et spécialiste de l’armement chimique et biologique. « Il peut y avoir des traces, dans le sang ou dans les urines, plusieurs semaines après l’exposition, notamment dans le cas d’agents neurotoxiques comme le sarin. C’est plus difficile pour le chlore. » Les enquêteurs, qui se sont entretenus avec de hauts responsables syriens dimanche, devraient, entre autres activités, procéder à des prélèvements sur des blessés ou des cadavres.

Ancien conseiller scientifique de l’OIAC, M. Trapp estime par ailleurs que les inspecteurs « sauront déterminer si le site a été altéré ou non.Même s’il y a eu une opération de nettoyage du site, il y a toujours des traces d’agents chimiques. Nettoyer à l’intérieur de bâtiments n’est pas facile du tout, et le matériel absorbe les agents chimiques. Si c’est une opération de nettoyage, on découvrira le produit qui a servi à nettoyer, à moins que le ou les bâtiments soient détruits. »

A la suite de l’attaque contre Khan Cheikhoun, le 4 avril 2017, qui avait été fatale à plus de quatre-vingts habitants de cette localité du nord de la Syrie, les enquêteurs de l’OIAC n’avaient pu se rendre sur le terrain. Mais grâce à des échantillons prélevés sur des victimes ayant fui à l’étranger, ils avaient pu affirmer que « les gens ont été exposés à du sarin ou à une substance ressemblant au ­sarin ».

Lundi et mardi, à défaut d’inspecteurs, des journalistes étrangers ont pu arpenter les rues de Douma. Le correspondant du quotidien britannique The Independent, Robert Fisk, vétéran des terrains de guerre au Proche-Orient, dont le travail est très décrié par les soutiens de l’opposition syrienne, a rapporté ne pas avoir croisé, durant son passage sur place, une seule personne au courant de l’attaque du 7 avril. ­Selon un médecin, dont il rapporte les propos, les quarante et quelques victimes auraient succombé non à du gaz, mais à un mélange de poussière et de fumée, soulevé par des bombardements conventionnels, et qui sous l’effet du vent, aurait infiltré les sous-sols où les habitants étaient réfugiés. Une thèse avancée aussi par un étudiant en médecine, interrogé par l’agence Reuters.

Deux équipes de télévision, l’une suédoise et l’autre américaine, n’ont pourtant pas eu de mal, en se rendant sur le lieu de l’attaque, à rencontrer des survivants de celle-ci. Ils évoquent un bombardement au « gaz », l’un d’eux montrant même, toujours planté sur son toit, le projectile d’où se serait échappée la substance toxique. Mardi, dans la soirée, les Etats-Unis ont affirmé détenir la preuve que du sarin et du chlore ont été utilisés dans l’attaque du 7 avril.