Documentaire sur France 5 à 20 h 55

« Une pipe contre un McDo. » Voilà la transaction, effarante, à l’œuvre dans la cour du collège où travaille Nathalie, une assistante sociale, qui, comme la plupart des intervenants de ­Jeunesse à vendre, s’exprime sous couvert d’anonymat. Selon elle, la cour de récréation reste « une zone grise, loin du radar des adultes » ; là où se nouent les prémices d’un commerce sexuel de plus en plus répandu chez les jeunes.

Après s’être penché sur le rejet du sexe féminin en Asie dans La Malédiction de naître fille (2006, avec Manon Loizeau) puis aux drogués du sexe dans Sex Addicts (2015, avec Florence Sandis), Alexis Marant s’intéresse à un sujet ­tabou mais bien réel : la prostitution des mineures françaises. Celles-ci seraient toujours plus nombreuses à marchander leur corps, sans avoir conscience de leurs ­actes. Des femmes-enfants qui ­finissent par fuguer ou faire des ­allers-retours entre leur chambre d’enfant et celle d’un hôtel.

Le documentaire retrace l’histoire de plusieurs adolescentes. Parmi elles, Océane, en fugue ­depuis plus de six mois. Son père épluche tous les jours les messages d’un site d’annonces à sa ­recherche. A côté des voitures et des maisons à vendre se trouve sa fille, légèrement vêtue. Un véritable « crève-cœur » pour ce père de famille. Alexis Marant filme la ­détresse de parents désemparés mais tenaces, essayant de faire face à l’inertie des services de ­police en menant eux-mêmes l’enquête pour retrouver leur enfant.

Les principaux artisans de cette prostitution restent les réseaux sociaux. Photo d’illustration. / CAPA TV

Car la police peine à enrayer le phénomène, face à des jeunes filles qui se disent libres de leurs actes. « La prostitution n’est pas un délit, le proxénétisme oui », rappelle le commissaire Vianney Dyevre, de la brigade de protection des mineurs de Paris (BPM). Et dans ces cas de figure, il s’agit souvent de réseaux peu structurés, improvisés, difficiles à cibler, qui ­oscillent plus du côté de l’expérimentation que du grand banditisme. Mais les dossiers s’accumulent pour proxénétisme à la BPM.

Selon Armelle Le Bigot-Macaux, présidente de l’association Agir contre la prostitution des enfants (ACPE), entre 5 000 et 8 000 enfants se prostitueraient en France. « Tout le monde peut être ­concerné », assure-t-elle. Et cette pratique touche aussi bien les ­familles modestes que les nantis. Les jeunes filles commencent par se prostituer par « jeu », par curiosité, avant de tomber dans un véritable engrenage. Léa, 15 ans, pouvait avoir jusqu’à 10 passes par jour, à 100 euros la demi-heure, 200 euros l’heure. De quoi « s’acheter ses vêtements sans l’aide de ses parents ».

Une société hypersexualisée

Pour Hélène David, directrice adjointe de l’association Charonne, qui lutte contre la toxicomanie, ce « mal » prend racine dans la ­société hypersexualisée au sein de laquelle évoluent ces jeunes, irriguée notamment par le porno. « Le cul, le sexe, la thune », autant de valeurs véhiculées selon elle par la télé-réalité et la publicité. Et les principaux artisans de cette prostitution restent les réseaux sociaux.

Si le documentaire soulève des questions, il n’apporte pas véritablement de réponse. La solution miracle n’existe pas et les éducateurs semblent être dans une ­impasse. Jeunesse à vendre a ­cependant le mérite de suivre le parcours de ces jeunes filles sur plusieurs mois, montrant l’ampleur du phénomène.

Jeunesse à vendre, d’Alexis Marant (Fr., 2017, 70 min)