Les injures mitraillent le solo Tajwal, d’Alexandre Paulikevitch, expert en « baladi », nom égyptien de la danse orientale, et seul homme sur le terrain de cette pratique ultra-féminine au Liban et au Proche-Orient. « Tafiolle, tantouze, fiotte, enculé de pédé, suceur de bite… », ces insultes déchirent mentalement sa longue jupe rouge, arrachent sa ceinture dorée, le tabassent tandis qu’il poursuit sa route torse nu en tourbillonnant dans ses voiles.

Ce spectacle saisissant, créé en 2012, met en scène ce qu’Alexandre Paulikevitch subissait de façon quasi-quotidienne dans les rues de Beyrouth où il vit et travaille. « Ça se passe mieux aujourd’hui pour moi, raconte le danseur et chorégraphe. J’étais sans doute aussi assez provocateur à l’époque. Aujourd’hui, je me suis isolé. Je marche toujours longuement dans la ville mais pas aux heures où il y a le plus de monde. »

TAJWAL - a dance performance by Alexandre Paulikevitch
Durée : 03:13

Tajwal ouvrait, mercredi 18 avril, la première édition du festival Le Printemps de la danse arabe, qui se déroule jusqu’au 23 juin, à l’Institut du monde arabe, mais aussi dans différents lieux dont le Théâtre de Chaillot et l’Atelier de Paris. Après le nouveau rendez-vous « Week-end humour », qui s’est déroulé du 6 au 8 avril, c’est au tour de la danse contemporaine de grimper à l’affiche de l’IMA avec une dizaine de chorégraphes dont Imed Jemaa, Yara Al Hasbani, Alexandre Roccoli, Radhouane El Meddeb, Nejib Khalfallah, originaires de différents pays dont le Liban, la Tunisie et la Syrie.

« Mon oxygène »

Alexandre Paulikevitch, 36 ans, illumine intensément le paysage du spectacle vivant aujourd’hui. Courage, générosité, appétit à partager ses expériences, sa voix porte et sans faillir. Toujours souriant, il irradie d’une ardeur qui emporte. Né à Beyrouth, il vient faire ses études de droit à Paris en 2000. Il a 18 ans, se libère en testant d’une « matière aride » dans le tango, le contemporain et le modern jazz. « Je m’en souviens très bien, raconte-t-il. J’étais en train de prendre un cours de flamenco au Centre du Marais lorsqu’en tournant, j’ai entraperçu des danseuses orientales. Immédiatement, j’ai été happé. » Il travaille avec Leïla Haddad, décroche parallèlement un diplôme en danse et théâtre à l’Université Paris-VIII. « C’était peut-être un repli identitaire comme on dit mais d’abord mon oxygène, poursuit-il. J’ai surtout pu affirmé ma féminité à travers cette pratique. »

De retour à Beyrouth en 2006, il commence à y créer des performances, donner des cours, en revendiquant ce « baladi » qu’il refuse d’appeler « danse du ventre ». « C’est évidemment briser un grand tabou lorsqu’on est un homme que de pratiquer ce style féminin, explique-t-il. Dans le monde arabe, il y a des codes très spécifiques de la masculinité. L’homme est un chevalier, il a beaucoup de privilèges, il peut éventuellement se retrouver à danser le folklore mais c’est tout. Choisir le baladi et imiter une femme, c’est mettre en danger son identité. Sans compter que dans cette région du monde, la danse est considérée comme une affaire de prostitution. »

Alexandre Paulikevitch, danseur : « Ce solo est une pièce de résilience. Au-delà, c’est aussi un outil de libération des genres »

Sur des mélopées percussives prenantes, Alexandre Paulikevitch rayonne sans surjouer à aucun moment la féminité. Entre offrande joyeuse et sacrifice tragique, il balaye d’un coup la beauté pour se retrouver démembré, ligoté, homme-tronc sans visage toujours frémissant dans une gangue de tissu. « Même à genoux et mutilé, je continue à danser, déclare-t-il. Ce solo est une pièce de résilience. Au-delà, c’est aussi un outil de libération des genres. En surfant sur les codes du féminin et du masculin, en jouant avec aussi, on les subvertit et on sort de la binarité femme-homme. Je suis certain qu’à l’avenir, il y aura une multitude de genres. »

Lire la critique (en février 2014) : Les danseuses n'ont pas le monopole du ventre

Si Alexandre Paulikevitch se produit régulièrement au Liban « où finalement les gens découvrent leur culture sous un autre angle et s’y intéresse » mais aussi en Suisse et en Allemagne, il n’a jamais présenté ses pièces en Egypte. « J’y ai été programmé à quatre reprises et à chaque fois, au dernier moment, les représentations ont été annulées », précise-t-il. Invité par Olivier Py pour l’édition 2018 du Festival d’Avignon, avec son spectacle Elgha, pièce téméraire et durement politique « sur les viols de femmes en pleine révolution égyptienne » à l’ombre d’une barbe géante, il a malheureusement dû décliner la proposition pour des raisons pratiques et techniques.

"ELGHA' - إلغاء" A dance performance by Alexandre Paulikevitch
Durée : 02:37

Le Printemps de la danse arabe. Institut du monde arabe (IMA), 1, rue des Fossés-Saint-Bernard. Paris 5e. Jusqu’au 23 juin. Tél. : 01-40-51-38-38. www.imarabe.org