L’entrée de Science Po Lille est bloquée ce jeudi 19 avril, pour protester contre la loi instaurant Parcoursup. / DENIS CHARLET / AFP

Dans la famille des instituts d’études politiques (IEP), qui recrute sur concours et pratique la sélection, pas moins de cinq établissements sur dix ont voulu marquer leur soutien à la cause des étudiants engagés contre la loi « orientation et réussite des étudiants », accusée d’instaurer la sélection à l’entrée de l’université. Jeudi 19 avril, Sciences Po Paris et Rennes restaient occupés, Lille bloqué. A Grenoble, bloqué la veille des vacances, un nouveau vote est prévu mardi 24 avril. A Strasbourg, des étudiants ont finalement opté pour un sit-in, mardi. Des étudiants ont indiqué au Monde qu’« un manifeste » co-signé par une majorité des IEP est en cours d’écriture, et devrait être rendu public à la fin de la semaine.

Sciences Po Paris. Une assemblée générale est prévue jeudi à 19 heures, ont annoncé sur Facebook les 70 étudiants qui ont débuté le blocage du principal bâtiment de l’école, rue Saint-Guillaume, mardi soir. Parallèlement, le directeur de l’établissement, Frédéric Mion, a adressé un mail aux étudiants et personnels pour leur annoncer la tenue dans l’après-midi d’une « grande consultation en ligne » pour ou contre le blocage. « La participation au débat public libre doit être possible pour tous, écrit-il. Ce n’est pas aujourd’hui le cas et l’atteinte actuellement portée au fonctionnement normal de notre institution est totalement inacceptable. »

« Nous devrions avoir les résultats à 19 heures, indique au Monde la direction de Sciences Po. Cela nous permettra de prendre connaissance de la légitimité de la poursuite de l’occupation. » L’école a été rouverte pour laisser entrer – sur présentation de leur carte de l’établissement –ceux qui souhaitent participer à l’AG. Le collectif d’occupation, rebaptisé « Institut Clément-Méric en lutte » en hommage à l’étudiant de Sciences Po et militant antifasciste tué le 5 juin 2013 par un groupe d’extrême droite, a conditionné l’ouverture du bâtiment « à la levée des assiduités pour toute la journée », afin de permettre aux étudiants de participer à la manifestation interprofessionnelle de jeudi.

Sciences Po Rennes. A Rennes, une cinquantaine d’étudiants de l’IEP – sur un total de 1 300 étudiants – occupaient toujours, jeudi après-midi, l’amphithéâtre Lanjuinais, et ce depuis mardi soir. « La moitié d’entre eux ne sont pas de l’IEP mais probablement de l’université Rennes I, indique une porte-parole de l’établissement au Monde. Face à l’impossibilité pour les personnels d’accéder à leurs bureaux, la direction a décidé de fermer l’établissement pour la journée. Demain, on avisera », ajoute cette source, alors qu’une nouvelle AG est programée jeudi en fin de journée. « Il s’agit d’une occupation pacifique, nous n’avons pas constaté de dégradations », poursuit la direction de l’école.

Sur leur page Facebook, les bloqueurs expliquent que leur action « fait suite à la répression initiée par la direction de l’IEP, qui a tenté de mettre en place un contrôle des cartes et d’annuler une conférence sur la convergence des luttes ».

Sciences Po Lille. A Lille, dès 6 h 30 jeudi matin, des conteneurs poubelles bloquaient l’accès à l’IEP, des chaînes empêchant de franchir les grilles. « Darmanin a fait Sciences Po Lille, nous ne voulons pas finir comme lui ! », prévient une affiche, en écho au slogan initié par Sciences Po Paris au sujet de son ex-élève Emmanuel Macron. Réunis en AG en fin d’après-midi, les étudiants ont voté la reconduite du blocage ce vendredi (46 pour et 8 contre).

Le blocus a été voté mercredi en assemblée générale, par 154 voix contre 60, indique au Monde François Benchendikh, directeur des études de l’IEP. « Une cinquantaine d’étudiants assurent le blocage extérieur mais personne n’occupe le bâtiment », précise-t-il alors qu’une nouvelle AG est prévue en fin de journée pour décider de la suite du mouvement. Dans un communiqué, les 14 enseignants de l’IEP syndiqués au Snesup-FSU soutiennent le blocage.

Etudiant en deuxième année, Théo Boscher n’a pour sa part pas voté pour le blocage. Mais il soutient le mouvement contre la loi ORE : « On ne doit pas rester Science Po-centré. On est davantage politisés que des élèves d’écoles de commerce car nous avons plus à cœur d’échanger nos points de vue. Sciences Po est un terrain fertile pour échanger et doit jouer ce rôle. »

Sciences Po Grenoble. Premier à s’être mobilisé à travers un blocage dès le 13 avril entre 6 heures et 14 heures, l’IEP de Grenoble a alors été fermé administrativement, et ses étudiants sont en congés depuis. Le blocage avait été décidé la veille lors d’un vote des nombreux participants d’une AG interfacs, à laquelle les étudiants de Sciences Po avaient été conviés. Etudiant en première année, Léo Leroux, indique « faire partie des étudiants qui se sont étonnés de ne pas avoir été consultés en amont pour ou contre ce blocage du 13 avril ». Il souhaiterait que les élèves de Sciences Po soient sondés en interne avant qu’un nouveau blocage soit mis au vote lors de la prochaine AG interfacs grenobloise, prévue le 24 avril.

De son côté, Arthur Boix-Neveu, élu étudiant membre de l’UNEF, précise que « les cours reprendront lundi 23 avril à l’IEP, suivis d’un débat en amphi sur la loi Vidal où nous ferons intervenir les enseignants ». Interrogé sur l’expression « dictature macronienne » brandie par les bloqueurs de Sciences Po Paris, l’étudiant répond que lui ne va « pas jusque-là ». En revanche « je constate une réduction de l’Etat de droit, un mépris du Parlement et l’installation d’une monarchie républicaine », complète-t-il.

Sciences Po Strasbourg. Quant à l’IEP de Strasbourg, « RAS », indique la direction jointe par Le Monde. « Nous ne sommes pas bloqués, c’est calme pour le moment. » « RAS, cela dépend, commente l’un des élèves, Lucas Segal. S’il n’y a pas eu de blocage, il existe bien une mobilisation. »

La menace d’un blocage était même dans la balance lors de l’AG du 13 avril, à laquelle 140 élèves environ ont pris part pour demander de ne pas être pénalisés s’ils se joignaient au cortège de la manifestation interprofessionnelle de ce jeudi. « La direction ayant immédiatement accepté de ne pas pénaliser ces absences, nous n’avons pas bloqué. Mais nous avons organisé un sitt-in mardi 17 avril, où une quarantaine d’étudiants se sont assis dans le hall près de feuilles posées à terre où il était inscrit “Fais comme Macron, marche sur l’éducation” », relate le jeune homme.

L’étudiant s’inquiète de «  la politique néolibérale » que mène à ses yeux le chef de l’Etat, notamment à travers la loi Vidal. « La sélection entraîne une homogénéisation sociale et nous sommes bien placés pour le voir. Ici nous sommes en majorité des enfants de cadres et sur 170, il y a deux ou trois personnes d’origine maghrébine ou africaine. On a peur que la loi Vidal tende vers cela au sein des universités, qui ne rempliraient plus leur rôle d’accès au savoir pour tous. »