Des manifestants brûlent des poubelles à Dakar pour exprimer leur désaccord envers la politique gouvernementale, le 19 avril 2018 / SEYLLOU / AFP

Des nuages de gaz lacrymogène ont envahi les rues du centre-ville de Dakar jeudi 19 avril. Les cars antiémeute de la police ont patrouillé dans l’artère commerçante Lamine-Guèye, dispersant à coups de grenade tous les groupes de plus de cinq personnes. Des barricades dressées aux abords du marché Sandaga ont rapidement été démontées par les forces de l’ordre. Retournant pierres et pavés, des dizaines de manifestants ont allumé des incendies de pneus et de poubelles dans les rues fermées à la circulation. Les manifestants, répondant à un appel à protester de l’opposition, ont exigé que le pouvoir retire une révision constitutionnelle jugée « antidémocratique ».

Une loi adoptée à l’unanimité

A 500 mètres de ce spectacle chaotique, protégés par un périmètre de sécurité, les députés de l’Assemblée nationale ont adopté à l’unanimité, en début de soirée, une loi imposant aux candidats des futures présidentielles, dont la prochaine est fixée au 24 février 2019, un parrainage de 0,8 % du corps électoral. Pour se porter candidat, il faudra environ 52 000 signatures dans au moins la moitié des 14 régions du pays. Face au refus de la majorité de poursuivre les débats avant le vote, l’opposition a quitté l’Assemblée nationale, permettant à la loi d’être acceptée par les 120 députés de la majorité sur 165 parlementaires que compte l’hémicycle.

Selon le pouvoir, ce texte permettra de faire « progresser la démocratie » en barrant aux candidats fantaisistes la course à la présidentielle. Une telle mesure permettra de réduire les frais liés à l’organisation du scrutin, comme les dépenses de campagne, tout en améliorant pour les citoyens la lisibilité des listes électorales. « Aucune démocratie n’organise une élection présidentielle sans filtrage. Quand on gouverne, on cherche à éviter ce qui bloque le système », a déclaré le ministre de la justice, Ismaïla Madjor Fall à la sortie de l’Hémicycle.

Le gouvernement sénégalais craignait de voir une inflation des candidats aux élections dans un pays qui recensait en 2016 258 partis enregistrés. Un nombre important bien que relatif si l’on considère l’Afrique du Sud et ses 325 partis ou la République démocratique du Congo et ses 477 partis. A titre de comparaison, en France, la Commission nationale des comptes de campagne recensait en 2015, 451 formations politiques dont 338 actives. Les autorités sénégalaises espèrent ainsi éviter la répétition de « l’erreur des législatives de juillet 2017 », où les citoyens avaient dû choisir entre 47 listes électorales. Selon le ministre de la justice, chacune avait coûté 382 millions de francs CFA (582 000 euros) au contribuable.

Une tentative d’écrémer la diversité du paysage politique, selon l’opposition

Dans les rangs de l’opposition, les députés sont nombreux à voir dans cette loi une tentative anticonstitutionnelle dont l’objectif d’écrémage avoué nuira à la diversité du paysage politique sénégalais. D’autres y relèvent un dessein plus pernicieux : l’élimination des adversaires politiques du président Macky Sall. Selon Madické Niang, président du groupe parlementaire Liberté et démocratie, « cette loi remet en cause des principes intangibles qui aujourd’hui fondent l’exercice d’une démocratie mûre. On ne peut pas mettre sur un même pied d’égalité les partis politiques et les indépendants ». Mercredi, un collectif de 24 associations de la société civile ainsi que l’association des imams et prédicateurs du Sénégal et l’archevêque de Dakar avaient appelé le président à préférer une solution consensuelle à ce projet de loi controversé.

Pourtant, au Sénégal, le système de parrainage n’est pas une nouveauté. Depuis 1963, la loi exigeait des candidats à une élection présidentielle d’être parrainé par un parti politique ou par dix députés. Ce nombre avait ensuite été réduit à cinq avant que la disposition ne soit retirée du code électoral. En 1991, une nouvelle loi obligeait les candidats indépendants à obtenir 10 000 signatures. Des dispositions que vient remplacer la loi votée aujourd’hui dans un climat de contestation émaillé de heurts violents.

Des policiers sénégalais patrouillent dans les rues de Dakar, le 19 avril 2018. / SEYLLOU / AFP

Un climat de contestation violente

A l’Assemblée d’abord, où la séance a dû être suspendue à la suite d’ une bagarre entre parlementaires. Puis dans la rue, où plusieurs opposants politiques ont été arrêtés par la police pour avoir contrevenu à l’interdiction de manifester. Parmi eux, les anciens premiers ministres Idrissa Seck, aujourd’hui président du parti Rewmi, et Abdoul Mbaye, ancien premier ministre de Macky Sall entre 2012 et 2013, désormais président de l’Alliance pour la citoyenneté et le travail. D’autres leadeurs de l’opposition ont subi le même sort. Ainsi, Malick Gakou, chef du Grand Parti ; Thierno Bocoum, président d’AGIR (Alliance générationnelle pour les intérêts de la République) ; Oumar Sarr, coordonnateur du Parti démocratique sénégalais ; et l’activiste Kilifeu, du mouvement citoyen Y en a marre, ont été arrêtés dans la matinée.

Les échauffourées se sont multipliées dans plusieurs villes du pays. A Dakar, les citoyens arborant des signes de l’opposition à proximité des quartiers Sandaga et Médina étaient systématiquement arrêtés par la police. Il a suffi à un homme de brandir le drapeau du Sénégal pour être interpellé, à un autre de clamer « Nous disons non ! » pour être empoigné. Certains jets de grenade ont directement visé des groupes de journalistes blessant au moins deux d’entre eux. Des gestes qui ont choqué les médias locaux, peu habitués à subir un tel traitement.

Alors que le Sénégal est en proie à la colère de la rue, le président, Macky Sall, était ce matin à Paris où il devait rencontrer son homologue, Emmanuel Macron. Difficile pour l’opposition de ne pas y voir une discrète façon d’échapper à un climat démocratique de plus en plus tendu. Aujourd’hui, peu d’obstacles se présentent à la réélection de Macky Sall. La majorité de ses opposants politiques sont écartés de la course. Karim Wade, fils de l’ancien président, est en exil au Qatar à la suite d’une condamnation en 2015 pour enrichissement illicite. Khalifa Sall, le maire socialiste de Dakar, a été condamné le 30 mars à cinq ans de prison ferme pour escroquerie sur fonds publics, et Barthélémy Dias, son bras droit, a, lui, été condamné mardi à six mois de prison ferme pour outrage à magistrat.