Documentaire sur France 3 à 23 h 45

1995 : quand Bernard Thibault explique à Juppé comment faire reprendre le travail
Durée : 02:14

En ce mois de novembre 1995, le ciel est plombé, et les températures très fraîches, comme le climat social d’une France ­présidée par Jacques Chirac, qui a fait d’Alain Juppé, « le meilleur d’entre nous », son premier ministre. Et qui, après avoir été élu en mai pour résorber la « fracture ­sociale », ­annonce en novembre que la ­nation doit faire de douloureux ­efforts pour ­réduire ses déficits. L’objectif est clair : en deux ans, il faut arriver à l’équilibre afin de répondre aux critères de Maastricht.

1995, drôle d’année : la Sécurité sociale fête son demi-siècle, la CGT son centenaire. Et Alain Juppé est chargé du chantier des réformes. Bon courage. « Juppé avait un petit côté officier de cavalerie », estime Alain Duhamel, journaliste, l’un des nombreux témoins interrogés dans ce documentaire aussi instructif qu’agréable, avec des commentaires parfois ironiques et de nombreuses archives. La tentation existe, en voyant ces images aux couleurs un peu ternies de cheminots en colère, de transports à l’arrêt, de manifs monstres et de premier ministre droit dans ses bottes, de faire un lien avec celles qui défilent ce printemps sur les chaînes françaises. Mais l’histoire repasse rarement les plats.

Malice et précision

Alain Juppé ne doute de rien : aucun ministre n’est parvenu en trente ans à reboucher le trou de la Sécu ? Lui pense y parvenir en deux ans. Le 15 novembre, sa ­réforme, beaucoup plus large et ­radicale que prévu, est dévoilée à l’Assemblée nationale : « Le gouvernement ne se contentera pas d’un nouveau replâtrage de la ­Sécurité sociale. Il veut une réforme faite pour durer », lance-t-il. Standing ovation, commentaires flatteurs, même dans les rangs de la gauche, tout semble bien débuter pour le gouvernement.

Si les sondages annoncent que 70 % des Français sont favorables à la réforme, il en reste tout de même 30 % qui n’ont pas l’intention d’avaler la potion amère du docteur Juppé. Et c’est là que le ­documentaire de Cédric Tourbe entre dans une autre dimension, en décortiquant avec malice et précision les multiples jeux de pouvoir, notamment entre syndicats : avec une CGT qui joue la centenaire combative, une CFDT en plein recentrage et FO, gestionnaire de l’assurance-maladie ­depuis trente ans et qui n’a pas l’intention de l’abandonner. Louis Viannet (CGT), Nicole Notat (CFDT), Marc Blondel (FO), trois fortes personnalités qui vont, au cours des jours suivants, se ­retrouver dans la tourmente.

Le 16 novembre, dans un entretien accordé au quotidien Sud-Ouest, Alain Juppé lance : « Si deux millions de personnes descendent dans la rue, mon gouvernement n’y survivra pas. Mais je ne crois pas à cette hypothèse. » En politique comme au casino, on perd parfois sa mise. Car, au fil des événements, les « coalitions de colères » vont ­petit à petit ­devenir réalité.

La France du service public gronde et bloque le pays sans que le secteur privé ne se montre hostile. Le 5 décembre, une vague de froid enveloppe l’Hexagone ­enneigé. « Je ne retirerai pas le plan de réforme et de sauvegarde de la Sécurité sociale ! », lance Juppé pendant que « Les Guignols » de Canal+ font rire avec leur « ­Juppéthon ». Au bout de trois longues semaines, la plus grande grève du secteur public depuis 1968 s’achève. Lâché par Chirac, Juppé a perdu son pari.

Juppé et les grandes grèves de 1995,de Cédric Tourbe (Fr., 2016, 65 min).