Après l’évacuation matinale du site Tolbiac de Paris-I, vendredi 20 avril, les étudiants se sont rassemblés à midi devant l’entrée, gardée par les CRS. / GONZALO FUENTES / REUTERS

Quelques heures après l’évacuation matinale du site universitaire de Tolbiac, à Paris, vendredi 20 avril, le bâtiment porte encore les traces des presque quatre semaines d’occupation, banderoles à moitié tombées, tags nombreux. Mais ce midi, les étudiants mobilisés contre la réforme de l’accès à l’université, qui, jusque-là, se trouvaient à l’intérieur du bâtiment, en sont maintenant séparés par deux cordons de CRS, postés de part et d’autre de la rue de Tolbiac.

Ils sont environ 200, en majorité des étudiants, portant encore quelques banderoles, face aux CRS, à avoir répondu à l’appel à se mobiliser contre l’évacuation. Ils discutent par petits groupes. Autour, sur les escaliers et les balcons, on les observe. « Mais qu’est-ce qu’ils font encore là ?, interroge une cinquantenaire. Ils disent qu’ils sont mobilisés contre la sélection et Parcoursup, mais ça ne les concerne pas, en fait, c’est pour les lycéens, ça ! » Son amie acquiesce en remettant ses lunettes de soleil sur les yeux. Elles passent leur chemin.

Guillemette, étudiante aux Beaux-Arts de Cergy, patiente, appuyée contre une barrière. « J’ai dormi à plusieurs reprises à l’intérieur, mais je n’étais pas là hier soir. On s’y attendait à vrai dire, ça faisait plusieurs soirs que des camions de CRS passaient dans le quartier. » La jeune femme pense que cette intervention va donner un nouveau souffle à la mobilisation.

« On est 200, on va faire quoi ? On va aller où ? »

Un peu plus loin dans la foule, Alix et Jules sont moins optimistes. « Le problème c’est que, si les gens trouvent ça normal qu’une mobilisation pacifique soit réprimée comme ça, personne ne va se joindre à nous… », tranche l’étudiante en droit et histoire de l’art. « C’est vrai qu’il faut souligner que c’était vraiment pacifique », renchérit son ami. Tous deux estiment qu’ils ne sont pas assez nombreux pour continuer. « On est 200, on va faire quoi ? On va aller où ? »

La question est sur toutes les lèvres. Dans la foule, on parle de Saint-Charles, un autre site de Paris-I également bloqué. De Paris-III, où des étudiants ont également occupé le site de Censier. Où va se tenir la prochaine réunion ? « Ce qui est sûr, c’est qu’on ne va pas la faire ici, sourit Célia en désignant les CRS alignés au bord de la route. La suite ? C’est difficile à dire pour le moment, on va rester mobilisés, sur d’autres campus sans doute. »

Le mégaphone se met finalement à gronder. « Les partiels ne nous arrêteront pas, c’est nous qui allons les arrêter. [Georges] Haddad [le président de l’université Paris-I] avait dit il y a deux semaines qu’il ne ferait pas intervenir la police, voilà le résultat ! », lance un jeune. « Qu’est-ce qu’on fait ce soir ? Qu’est-ce qu’on fait ce week-end ? Il faut qu’on se réorganise, qu’on soit plus forts, plus rapides qu’eux ! » « Il faut qu’on soit 1 000 fois plus nombreux ! », crie un autre.

« La protestation est majoritaire au sein des universités »

Des cheminots mobilisés contre la loi qui réforme leur statut sont venus apporter leur soutien. Des professeurs et personnels mobilisés de Paris-I ont, de leur côté, organisé un point de presse. « Face à une mobilisation pacifique, la seule chose que le gouvernement peut faire, c’est d’envoyer des policiers ! Mais le mouvement prend dans toute la France, affirme Annliese Nef, maître de conférences en histoire. En off, quasiment tous les présidents d’université sont favorables au retrait de la loi ORE, seule la surdité de Madame Vidal [la ministre de l’enseignement supérieur] ne lui permet pas de l’entendre. » Elle estime, par ailleurs, que « la protestation est majoritaire au sein des universités : si c’est une minorité qui occupe les lieux, elle représente une majorité silencieuse. »

Une jeune femme aux longs cheveux bruns passe derrière les manifestants qui tiennent une banderole face aux CRS. « Ah, c’est les CRS qui bloquent maintenant, c’est original », lance-t-elle à une autre avec un clin d’œil. Un jeune homme encourage tout le monde à aller « sur la dalle » pour se réunir et décider de la suite. La « dalle », c’est une esplanade qui surplombe la rue de Tolbiac, qu’ils rejoignent tous.

Une étudiante regarde son téléphone. « Ils ne veulent pas venir, ils disent que ça sert à rien, y a personne et, de toute façon, on sera au courant de la suite après », dit-elle à sa camarade. Après quelques minutes, elles décident de partir. Ceux qui sont restés s’assoient à l’ombre pour écouter les premières prises de parole.

« On a merdé, on a perdu Tolbiac ! »

« J’ai passé la nuit à Tolbiac, et je peux vous dire que c’est vraiment dégueulasse ! C’était notre symbole, ils nous ont jartés salement. Putain, que ça nous serve de leçon, les gars ! On a merdé, on a perdu Tolbiac, notre bastion est tombé, maintenant, il faut agir ! »

« Ouais, d’accord, souffle une jeune dans la foule. Mais, du coup, tu nous répartis dans d’autres facs, où est-ce qu’on va… » Sont évoqués Paris-III, le site Saint-Charles de Paris-I… Un jeune prend la parole, en montrant les caméras qui les entourent : « Et si on demandait aux journalistes qui décrédibilisent notre mouvement de partir ? », propose-t-il. « Journalistes, collabos ! », crie une autre.

Quelques heures plus tard, le comité de mobilisation annonce sur sa page Facebook un rassemblement à 18 heures devant Tolbiac, relayé par le comité d’action interlycéen et le mouvement interluttes indépendant, suivi d’une assemblée générale interfacs, à 20 heures.