C’est un phénomène qui inquiète les experts. « Il pourrait se transformer en catastrophe », s’inquiète Philippe Deloron, chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et à l’université Paris-Descartes. De quoi s’agit-il ? De la diffusion rapide, en Asie du Sud-Est, d’une forme de paludisme qui résiste aux traitements actuels.

Repéré pour la première fois au Cambodge en 2007, ce paludisme résistant s’est propagé dans les pays voisins, au Vietnam, en Thaïlande, au Laos et en Birmanie. « Dans certaines zones du Cambodge, le parasite Plasmodium falciparum résiste à toutes les combinaisons médicamenteuses à base de dérivés d’artémisinine, précise Philippe Deloron. On essaie donc d’autres combinaisons thérapeutiques ou des médicaments plus anciens, comme les cyclines. »

Présentation de notre série : Paludisme, la guerre d’usure

Ce problème est lié à l’apparition de mutations chez le parasite, mais il est aussi favorisé par le recours à des traitements de qualité médiocre ou contrefaits, leur sous-dosage ou leur mauvais usage, par exemple quand on utilise l’artémisinine sans l’associer à un médicament complémentaire, comme la luméfantrine.

Le premier enjeu est donc de promouvoir le bon usage des anti-paludiques. « Il faut respecter les protocoles thérapeutiques, ne prescrire les traitements combinés qu’à bon escient et après confirmation du diagnostic par des tests biologiques, et bien sûr éviter les contrefaçons », résume la professeure Sandrine Houzé, qui dirige le Centre national de référence sur le paludisme en France.

Le risque d’une hécatombe

Cette résistance crée aussi un défi de santé publique. Les experts redoutent sa propagation au sous-continent indien et, surtout, à l’Afrique. « Des précédents ont de quoi inquiéter », rappelle Philippe Deloron. Dans les années 1950 et 1960, deux vagues de paludisme résistant aux traitements classiques sont apparues en Asie du Sud-Est : contre la chloroquine d’abord, contre la sulfadoxine-pyriméthamine ensuite.

« Vingt à trente ans plus tard, ces résistances se sont diffusées en Inde et en Afrique. Là, elles ont explosé d’un coup : en cinq ans, elles ont traversé tout le continent africain, où elles ont fait des millions de morts. » C’est qu’en Afrique, la transmission est beaucoup plus intense qu’en Asie. Dans certains villages, 60 à 80 % des enfants sont porteurs du parasite – sans pour autant être malades, le plus souvent. En Asie, cette proportion reste faible, de l’ordre de 1 à 3 %.

Comment limiter le risque d’une nouvelle hécatombe en Afrique ? C’est une question qui fait encore débat. « Il y a deux grandes écoles, résume Philippe Deloron. Pour l’Organisation mondiale de la santé [OMS], il faut limiter la transmission du parasite par une recherche active des infections et par leur traitement, mais aussi par une action sur les moustiques. Il faut donc étendre la distribution des moustiquaires imprégnées d’insecticide et développer les pulvérisations intra-domiciliaires. » Dans la même logique, des experts préconisent de traiter les malades le plus tôt possible.

La seconde école plaide en faveur d’un traitement préventif de masse des populations, à l’aide de différentes molécules. L’idée est de rompre ainsi le cycle de transmission du parasite. « Mais l’OMS n’a pas adhéré à cette stratégie, qui n’est pas pratiquée sur le terrain », relève Philippe Deloron.

Plateforme collaborative

Un Réseau international sur la résistance aux antipaludiques a été mis en place, le Wwarn (pour Worldwide Antimalarial Resistance Network). Cette plateforme collaborative fournit des données fiables sur les facteurs qui affectent l’efficacité des antipaludiques. Elle conçoit aussi des instruments de suivi de la propagation de la résistance des parasites aux médicaments. Et elle développe des outils et des formations gratuites pour favoriser l’utilisation d’antipaludiques de haute qualité.

Les vaccins pourraient être une autre arme potentielle. « Le seul vaccin actuellement disponible, le RTSS, est considéré par l’OMS comme un outil utile pour limiter la transmission du paludisme – et donc des résistances –, mais son efficacité n’est que de 30 % », déplore Philippe Deloron.

Alors que faire en Afrique ? Il s’agit bien sûr de fournir des médicaments de qualité, mais aussi, pour l’heure, de « surveiller les mutations du parasite associées à ces résistances », estime Tomas Jensen, de Médecins sans frontières. A ce jour, aucune résistance n’a été détectée sur le continent par les systèmes de surveillance des différents pays. « Le système de suivi que nous avons instauré dans une dizaine de villages du Mali montre que les combinaisons à base de dérivés d’artémisinine sont encore efficaces », se rassure le professeur Ogobara Doumbo, qui dirige le Centre de formation et de recherche sur le paludisme, à Bamako. Même constat au Sénégal.

« La France est aussi un bon reflet de ce qui se passe en Afrique. L’analyse des cas de paludisme importés, contractés sur le continent et diagnostiqués en France, confirme que les parasites qui circulent en Afrique restent sensibles à ces traitements », renchérit Sandrine Houzé. Mais demain ? Il faudra sûrement développer de nouveaux anti-paludiques. Et comprendre plus finement les mécanismes de résistance dont s’arme le parasite.

Cet article a été réalisé dans le cadre d’un partenariat avec Roll Back Malaria (RBM).

Sommaire de notre série : Paludisme, la guerre d’usure

Dans une série en dix épisodes, Le Monde Afrique détaille les enjeux de la lutte contre cette maladie parasitaire qui a provoqué 445 000 décès dans le monde en 2016.

Présentation de notre série : Paludisme, la guerre d’usure