L’encadrement du pouvoir du Parlement est une critique récurrente depuis l’adoption de la Constitution, en 1958. / JULIEN MUGUET POUR LE MONDE

C’est un front commun inattendu. Après la baisse du nombre de parlementaires et le non-cumul des mandats, c’est désormais la place du Parlement dans l’avant-projet de réforme constitutionnelle qui hérisse le président du Sénat, Gérard Larcher, rejoint sur ce point par son homologue de l’Assemblée nationale, François de Rugy.

Le premier a fustigé, mardi 17 avril, une « une vraie réduction des pouvoirs du Parlement », quand François de Rugy, moins vindicatif en tant que membre de la majorité, a concédé mercredi 18 avril que « la majorité » ne pouvait « s’y retrouver » en l’état.

Qu’en est-il dans l’actuelle Constitution ?

La Constitution de la Ve République comporte déjà plusieurs dispositions qui contournent, voire limitent, le pouvoir législatif. Par exemple :

  • Le texte de 1958 a défini pour la première fois un « domaine de la loi », qui, bien que très étendu, sous-entend que tout n’entre pas dans les prérogatives du Parlement.
  • L’article 40 rend irrecevable tout amendement ou proposition de loi du Parlement qui aurait pour conséquence la diminution des ressources publiques, la création ou l’aggravation d’une charge publique, que seul le gouvernement peut décider.
  • L’article 38 autorise le gouvernement à prendre par ordonnance, « pendant un délai limité », des mesures qui sont normalement du ressort du Parlement… sans passer par le Parlement au préalable.
  • L’article 49, alinéa 3 (49.3), permet au gouvernement de faire adopter une loi sans vote de l’Assemblée nationale, à moins que celle-ci ne vote une « motion de censure » qui renverse le gouvernement (ce qui n’est arrivé qu’une seule fois sous la Ve République, en 1962).

Même si le Parlement peut, théoriquement, toujours avoir le dernier mot, dans la pratique, la prépondérance de l’exécutif est manifeste.

L’encadrement du pouvoir du Parlement est une critique récurrente depuis l’adoption de la Constitution, en 1958. En 2008, la dernière révision constitutionnelle, avait permis de rééquilibrer le rapport de force entre exécutif et législatif. Que changerait celle d’Emmanuel Macron ?

  • Le gouvernement réduit-il le droit d’amendement ?

Oui, et pour une raison explicite : éviter le dépôt de milliers d’amendements qui « alourdissent » et « ralentissent » le vote des lois, selon l’exécutif.

Si ce point est dénoncé par Gérard Larcher et plusieurs parlementaires, c’est parce que dans les faits l’amendement est l’un des principaux moyens, pour les parlementaires, de peser sur la rédaction de la loi. Car s’ils partagent l’initiative de la loi avec le gouvernement et peuvent rédiger des propositions de loi, l’écrasante majorité des textes adoptés émanent du gouvernement (projets de loi).

Sans compter que le droit d’amendement est déjà encadré dans l’actuelle Constitution. Aucun amendement créant une charge publique n’est accepté, et le gouvernement peut s’opposer à l’examen en séance de tout amendement qui n’a pas été soumis à la commission parlementaire qui a préalablement examiné le texte. Aucune restriction de ce type n’existe pour le gouvernement.

Avec la réforme, seront désormais irrecevables les « propositions ou amendements qui ne sont pas du domaine de la loi », qui sont « sans lien direct avec le texte » ou sont « dépourvus de portée normative ». En réalité, le gouvernement peut déjà opposer l’irrecevabilité d’un amendement ou d’une proposition de loi qui ne relève pas du domaine de la loi (ce qui est très peu fait en pratique). Mais tout amendement « dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé » est recevable.

Quant à la notion de « normativité », dont la définition est débattue (elle caractérise schématiquement l’énoncé de règles précises et contraignantes), elle est absente de la Constitution. Elle ne fonde pas l’irrecevabilité, et encore moins exclusivement pour le Parlement.

Le Conseil constitutionnel censure déjà des dispositions législatives trop générales et incantatoires, comme « l’objectif de l’école est la réussite de tous les élèves ». Mais en donnant la possibilité au gouvernement de refuser des textes en amont sur ce motif précairement défini, « la voie serait ouverte à l’arbitraire pur et simple », assure Bruno Daugeron, professeur de droit constitutionnel.

En cas de désaccord entre gouvernement et assemblées, le Conseil constitutionnel aura trois jours (et plus huit) pour trancher.

  • Pourquoi les sénateurs dénoncent-ils une « confiscation de l’ordre du jour par l’exécutif » ?

L’ordre du jour des assemblées est un vecteur de pouvoir essentiel puisqu’il établit la liste des textes qui doivent être examinés et votés par les parlementaires, et l’ordre dans lequel ils doivent l’être. Dans l’avant-projet, il est prévu que le gouvernement puisse « inscrire plus facilement à l’ordre du jour des assemblées certains projets de loi jugés prioritaires », dans les domaines économique, social ou environnemental, si les conférences des présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat ne s’y opposent pas.

Initialement, le gouvernement contrôlait quasi intégralement cet ordre du jour. La réforme constitutionnelle de 2008 a partagé cette prérogative. Deux semaines sur quatre maximum ont été préservées au bénéfice exclusif du gouvernement, mais l’ordre du jour des deux semaines restantes est désormais fixé par les assemblées.

Seule exception à ce principe jusqu’alors : les projets de loi de finances (PLF) et les projets de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), qui peuvent être inscrits en priorité à l’ordre du jour par le gouvernement, y compris sur les semaines réservés aux textes choisis par le Parlement. Si la réforme constitutionnelle était adoptée en l’état, le champ des textes potentiellement prioritaires serait assez large pour porter préjudice à cette égalité de répartition.

  • Pourquoi les sénateurs parlent-ils de « fin du bicamérisme » ?

Véritable ligne rouge pour Gérard Larcher, l’exécutif souhaite qu’en cas d’échec de la commission mixte paritaire (qui examine les textes quand les deux assemblées ne parviennent pas à un accord), « le gouvernement [puisse] demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement » en examinant « la dernière version du texte votée par elle ».

Le gouvernement peut déjà demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement en cas d’échec de la commission mixte paritaire, composée de députés et de sénateurs, et réunie après deux passages du texte devant chaque assemblée sans qu’elles ne tombent d’accord (une seule fois si le gouvernement décide d’une procédure accélérée).

Si le gouvernement émet cette demande, après une nouvelle lecture devant chaque chambre, l’Assemblée effectue la relecture définitive soit sur le texte de la commission mixte paritaire, soit sur le dernier texte qu’elle a voté.

Avec la réforme constitutionnelle, cette dernière lecture se ferait forcément sur le dernier texte voté par l’Assemblée – généralement acquise à la majorité. Le bénéfice de la conciliation avec les sénateurs serait mis de côté. Or, leur contribution, en tant qu’élus peu liés au gouvernement, voire, souvent, de l’opposition, est indispensable à la « qualité des lois », estime Bruno Daugeron.

  • Le Parlement aura-t-il moins de pouvoir sur les projets de loi de finance ?

Il aura en tout cas moins de temps pour les travailler. Dans le projet de révision, le délai d’examen du PLF est réduit à cinquante jours au lieu de soixante-dix actuellement. Quant au renforcement du contrôle des parlementaires sur le PLF, envisagé par le gouvernement, il ne figure tout simplement pas dans le texte.

Le PLF est déjà une exception constitutionnelle : les parlementaires ont un pouvoir très circonscrit sur ce texte. Il est l’un des seuls sur lequel l’usage de l’article 49.3 de la Constitution par le gouvernement est, par exemple, illimité.

Il est aussi, avec le PLFSS, le texte pour lequel la Constitution impose un délai maximum d’examen au Parlement (au-delà duquel le gouvernement peut recourir aux ordonnances sans passer par le vote des parlementaires), alors qu’elle fixe des délais minimums pour tous les autres, afin de laisser aux commissions le temps de les étudier et de les amender.

Réduire encore de délai répond à l’ambition du gouvernement de gagner en « efficacité » et en « rapidité » sur un texte crucial pour la mise en œuvre de sa politique. Mais, selon M. Daugeron, cette rationalisation sera préjudiciable à la qualité du travail des parlementaires, qui ont « besoin de temps pour bien légiférer ».