Agnès Buzyn, ministre de la santé, Soibahadine Ibrahim Ramadani, président du conseil départemental de Mayotte, Edouard Philippe, premier ministre, et Annick Girardin, ministre des outre-mer, à Paris, jeudi 19 avril. / BERTRAND GUAY / AFP

Ce n’était qu’un point d’étape mais il pourrait contribuer à faire évoluer la situation à Mayotte de façon décisive. Jeudi 19 avril, la rencontre qui s’est tenue à Matignon entre Edouard Philippe et une délégation d’élus mahorais a marqué, enfin, la volonté du gouvernement d’apporter des réponses durables à la crise que connaît ce département.

Le premier ministre était accompagné de quatre de ses ministres, Annick Girardin (outre-mer), Jean-Michel Blanquer (éducation), Agnès Buzyn (santé), Elisabeth Borne (transports), les ministres de l’intérieur et des affaires étrangères étant représentés par leurs directeurs du cabinet. Preuve de la volonté de l’Etat d’aborder les problèmes dans leur globalité.

Preuve, aussi, que le gouvernement a pris la mesure de la « profonde détresse » et de la « réelle désespérance », comme l’a exprimé M. Philippe, de la population mahoraise. Le mouvement qui a paralysé le territoire pendant plus de six semaines en a été l’expression la plus visible. Après de multiples rendez-vous manqués et des incompréhensions réciproques, la nomination, fin mars, d’un nouveau préfet, Dominique Sorain, accompagné d’une délégation interministérielle, ayant pour mission de renouer le dialogue avec l’ensemble des acteurs locaux, a été décisive.

C’est sur la base du travail effectué par cette mission que le premier ministre a pu, jeudi, dévoiler les grands axes du « plan de rattrapage et de développement de Mayotte ». Le plan définitif sera finalisé autour de la mi-mai. Avant cela, il a rappelé les mesures d’urgence déjà prises et mises en œuvre, tant en matière de sécurité et de lutte contre l’immigration clandestine qu’en ce qui concerne le soutien aux entreprises – essentiellement constituées d’un tissu de petites et très petites entreprises –, fragilisées par ces six semaines de mouvement.

Développement des infrastructures

L’Etat et ses opérateurs, tout d’abord, vont se réorganiser et se redéployer à Mayotte, pour permettre une réelle déconcentration des décisions et répondre aux besoins spécifiques du département. Vont ainsi être posées les bases d’une Agence régionale de santé de Mayotte (la mission est actuellement exercée par l’Agence de santé océan Indien pour La Réunion et Mayotte). Un rectorat de plein exercice va être créé. La direction de Pôle emploi à Mayotte va également bénéficier d’une autonomie renforcée.

D’autres mesures étaient attendues. Parmi celles-ci, l’annonce de l’exonération du ticket modérateur pour les assurés sociaux, qui préfigure l’instauration de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C), toujours pas applicable à Mayotte. Le premier ministre a aussi annoncé l’allocation de moyens supplémentaires pour le centre hospitalier de Mayotte, sans entrer dans le détail. Pas plus de précisions non plus en ce qui concerne le plan d’accélération du rythme de constructions de classes et d’équipements scolaires qui va être mis en œuvre. « En ayant bien conscience que nous partons de très loin », a admis le premier ministre.

Le gouvernement a promis de s’engager dans un programme de développement des infrastructures à Mayotte. Parmi les chantiers qui vont être ouverts, M. Philippe a cité « un transport en commun en site propre sur la Grande Terre » et la réalisation du contournement de Mamoudzou, la préfecture, point d’engorgement routier quotidien puisque la ville est traversée par la nationale reliant le sud au nord de l’île. L’Etat va aussi engager à Mayotte « une opération d’intérêt national », non définie, qui permettra, sur une zone d’aménagement de grande ampleur, de mettre en commun les moyens de l’Etat et ceux des collectivités.

« Des adaptations lorsque la situation l’exige »

La question des relations avec les Comores voisines ne pouvait pas être éludée, tant en ce qui concerne l’immigration mais aussi le développement et la coopération. M. Philippe a souligné « l’importance de l’insertion de Mayotte, département français de l’océan Indien, dans son environnement régional ». En mettant l’accent sur le fait qu’il n’était pas question de toucher au statut du département mais en insistant aussi sur « la responsabilité de chacun dans l’exercice plein et entier de ses compétences ». Il n’a toutefois pas exclu « des adaptations lorsque la situation l’exige », mais « à la demande des élus ».

L’ensemble de ces axes de travail doit à présent être mis en forme et finalisé. Le préfet et la mission interministérielle repartent à Mayotte. La prochaine étape devrait déboucher sur un document, « qui nous engagera collectivement », a indiqué M. Philippe, que Mme Girardin, la ministre des outre-mer, ira présenter aux Mahorais aux alentours du 15 mai.

« Dans la bonne direction »

Ces premières annonces ont été plutôt bien accueillies. Le député (LR) Mansour Kamardine y voit « de réelles avancées, des éléments qui vont dans la bonne direction ». « J’espère que, le 15 mai, les Mahorais verront qu’ils ont été bien entendus », ajoute-t-il. Du côté des acteurs du mouvement, toutefois, la prudence reste de mise, tant ils ont eu l’habitude des promesses déçues. « En 2014, déjà, le président Hollande nous avait annoncé la CMU-C et nous attendons toujours sa mise en place, le contournement de Mamoudzou nous a déjà été promis mais jamais concrétisé », rappelle Salim Nahouda, le secrétaire général de la CGT, interrogé par Le Journal de Mayotte.

A leur retour à Mayotte, les élus devraient rencontrer les représentants de l’intersyndicale et des collectifs de citoyens pour leur faire un compte-rendu. A ce stade, certains regrettent que les sujets importants – comme celui du port de Longoni, par exemple – n’aient pas été abordés et déplorent le flou du calendrier. Ils attendent également plus de précisions sur les moyens réels qui vont être débloqués.

Le chef du gouvernement a assuré vouloir « restaurer la confiance en la parole de l’Etat ». Les attentes de la part des Mahorais sont grandes mais il reste fort à faire pour parvenir à rétablir cette confiance, mise à mal pas des années d’engagements non tenus.