« Nous avions appris en mars que l’école était menacée par la fermeture d’une classe » explique le maire de Berrien, Paul Quéméner. / DIDIER OLIVRE POUR LE MONDE

A l’entrée du terrain, un grand panneau présente le futur lotissement de l’ancienne forge : un joli quartier pavillonnaire arboré, avec dix maisons toutes neuves. C’est, en tout cas, ce qu’avait en tête la mairie de Berrien (Finistère), en juillet 2015. A l’époque, le village de 997 habitants est en émoi, menacé par une fermeture de classe qui risque, à terme, de provoquer la fermeture de l’école. Il faut agir, vite.

Dans les locaux fraîchement rénovés de la mairie, l’édile Paul Quéméner, ancien patron à la retraite de l’entreprise de taxis, d’ambulances et de pompes funèbres du village, se souvient : « Nous avions appris en mars que l’école était en sursis. Après quatre mois de lutte, les parents s’essoufflaient, nous n’étions pas entendus par l’éducation nationale. » L’un des élus a alors l’idée de brader ces terrains appartenant à la municipalité qui ne trouvaient pas d’acquéreur depuis six mois, malgré une mise en vente à 9 euros le mètre carré.

L’engouement est immédiat. « Lorsque les médias ont relayé l’initiative, on s’est retrouvés sous une avalanche d’appels, se rappelle amusé le maire, en poste depuis 2014. Le premier mois, on a reçu 2 000 à 3 000 appels de toute la France, puis des Etats-Unis, des Philippines, d’Australie… Même la chaîne de télévision Al-Jazira s’est déplacée. Après la diffusion de leur reportage, on a encore reçu une centaine d’appels. »

L’équipe municipale retient huit candidats, auxquels ils donnent trois ans pour faire construire leur maison. Durant l’été 2015, cinq familles s’installent à Berrien en location. A la rentrée de septembre, l’école compte neuf nouveaux élèves. L’école est sauvée, la municipalité souffle.

Le maire de Berrien (Finistère), Paul Quéméner, ancien patron à la retraite de l’entreprise de taxi, d’ambulance et de pompes funèbres du village, en poste depuis 2014. / DIDIER OLIVRE POUR LE MONDE

Les enfants de Jacky et Inès Duperray font partie de ces nouveaux élèves. Le jeune couple, originaire de l’Aube, a comme d’autres entendu parler du projet de terrains à 1 euro à la télévision. A l’époque, la famille est souvent sur les routes au gré des missions professionnelles de Jacky, prestataire sur des projets de plusieurs mois dans des centrales nucléaires. « On savait qu’un jour on devrait se poser pour les enfants, explique Inès, 28 ans, dans la salle à manger de sa nouvelle maison, où peluches et jouets parsèment le sol. Jacky voulait devenir propriétaire, mais nous n’avions pas le budget pour acheter un terrain trop cher. Je n’avais jamais mis un pied en Bretagne mais, ici ou ailleurs, c’était pareil. La ruralité ne nous effraie pas. On voulait le calme sans vivre en ermites. »

Une seule maison

Mais le couple n’aura, finalement, pas de voisins immédiats. Trois ans après le lancement du projet, leur maison est la seule sortie de terre. Quatre familles sont reparties, pour des raisons diverses : absence d’emploi sur le territoire, difficultés financières ou familiales, problème d’intégration.

« Aucune n’était du coin, précise le maire, qui s’est particulièrement investi. Les gens ont envie de quitter la ville, mais ils ne sont pas forcément prêts. Après l’effet d’euphorie provoquée par le prix du terrain, ils ont du mal à aller au bout de leur rêve. » Résultat : les permis de construire de deux familles ont été acceptés, un autre est en cours, et la mairie n’a d’autre choix que de racheter aux familles les quatre terrains restants afin de les remettre en vente.

A Berrien (Finistère), la maison de Jacky et Inès Duperray est la seule sortie de terre. / DIDIER OLIVRE POUR LE MONDE

Succès mitigé donc, mais qui n’a pas empêché d’autres communes de la région de s’inspirer du projet de Berrien. Comme Guiscriff, une commune du Morbihan qui compte deux fois plus d’habitants mais est confrontée à la même problématique de terrains invendus.

En 2007, elle a investi 400 000 euros en travaux de viabilisation pour transformer des terres en zones constructibles. Situé à l’entrée du village, non loin du petit musée de la Gare, ce projet de lotissement devait répondre à une hausse des recrutements dans une entreprise d’agroalimentaire du coin. Mais vingt-sept parcelles ne partent pas. La municipalité, qui souhaite favoriser l’accession des jeunes à la propriété, les met alors en vente à 1 euro le mètre carré en septembre 2015.

Pierre Jaffre et Floriane Le Meur sont dans la cible. Originaire de Guiscriff, le jeune homme de 25 ans, déterminé à devenir propriétaire, ne se voyait pas vivre ailleurs. « Ce prix attractif nous a permis d’acheter le plus grand terrain du lotissement, celui de 1 048 m2, et de nous faire plaisir en choisissant des matériaux plus nobles », précise-t-il. Une fois terminée, leur maison leur aura coûté 180 000 euros.

Locataires à Aubagne, dans les Bouches-du-Rhône, M. et Mme Renaudier, retraités,  cherchaient à acheter un terrain en Bretagne pour se rapprocher de leur fille installée à Brest. / DIDIER OLIVRE POUR LE MONDE

Un écueil

Depuis quelques années, l’histoire se répète aux quatre coins de la France. Confrontés à la baisse d’attractivité de leur commune, de nombreux élus ont fait ce pari de vendre leurs terrains à 1 euro le mètre carré. Les modalités varient, mais l’objectif est toujours le même : redynamiser le territoire en incitant de nouvelles familles à venir s’installer.

Mais il y a un écueil. La vente précipitée des terrains, sans l’assurance de la solvabilité des acquéreurs. Comme celui de Berrien, le maire de Conflans-sur-Anille (Sarthe), Jean-Marc Lambert, en a fait les frais. Il a tenté l’expérience en 2016 et a accepté les premiers dossiers venus en laissant aux familles un an pour réaliser leur projet.

« Les familles n’ont pas pu trouver le financement pour construire leur maison et la commune s’est retrouvée bloquée pendant une année sans pouvoir remettre les cinq terrains en vente », regrette-t-il. La période écoulée, un seul propriétaire avait construit une maison pour la louer. La mairie a donc décidé de remettre les terrains au prix initial de 12 euros le mètre carré.

Plus prévoyante, la municipalité de Guiscriff a choisi d’encadrer les conditions de vente des terrains. Les acquéreurs ne peuvent signer chez le notaire le compromis de vente de leur parcelle qu’une fois le permis de construire et le prêt acceptés. Trois ans plus tard, quatre maisons sont presque terminées. Mais dix-huit lots sont toujours en vente.

« Ce projet se développe sur le long terme, on prend le temps », justifie Renée Courtel, la maire du village. « Le lotissement fait partie d’un tout », insiste l’élue, qui a aussi racheté un local pour le louer à une fleuriste et prévoit d’autres travaux pour créer une microcrèche et un hébergement meublé pour travailleurs.

Projet global

Inscrire les terrains à 1 euro le mètre carré dans un projet global, voilà qui parle à Christian Derouet, le maire de Lonlay-l’Abbaye, en Normandie. « Dans le Grand Ouest, l’Orne est le seul département qui accuse une baisse de population », rappelle l’élu. Partant de ce constat, il a fait du maintien de la population sa « priorité »« C’est mon devoir de lutter contre la désertification. »

Lui qui a lancé l’idée des terrains à 1 euro dans son village en 2016 répète à l’envi « qu’il ne faut pas agir sur un seul maillon de la chaîne mais sur tous ». Tout est bon pour revitaliser la commune de 1 175 habitants, comme en témoignent les nombreux articles de presse affichés sur le mur du bureau de l’élu. L’un relate le rachat de la pompe à essence pour en faire une station communale, l’autre rappelle le combat pour faire installer un distributeur de billets, un troisième témoigne de la réhabilitation du presbytère et de l’aménagement en son sein d’un espace de télétravail… « La boulangerie a fermé il y a un an. On a investi 1 million d’euros pour en aménager une autre, qui fait en plus bar-tabac, avec des appartements au-dessus », dit fièrement l’édile en désignant le commerce à l’enseigne flambant neuve, qui trône sur une jolie place fleurie, face à la mairie.

« Les terrains à 1 euro sont aussi un coût pour la commune, mais c’est surtout un investissement pour l’avenir, explique-t-il. Ça amène des jeunes qui font construire, qui ont des enfants, qui participent à la vie économique de la commune. »

Effets inattendus

Nadège Lebrun, propriétaire depuis le 20 janvier d’un des dix terrains, en est le parfait exemple. Tout juste trentenaire, elle a passé son enfance à Lonlay-l’Abbaye et une partie de sa vie d’adulte dans l’Eure voisine avant de revenir, il y a cinq ans, « pour se rapprocher de la famille ». Avec son mari et ses deux enfants, la jeune femme attend impatiemment le début des travaux de leur maison, qui devraient débuter très prochainement. « On a prévu une maison de plain-pied, en anticipant la retraite », sourit-elle.

Une trentaine de kilomètres plus loin, à Champ-du-Boult, 400 habitants, malgré des effets mitigés, comme ailleurs, l’opération a eu des effets inattendus. Parmi la foule de curieux venus dans la commune, certains sont tombés sous le charme de ce village, typique du bocage normand. Finalement, ils n’ont pas acheté les terrains à 1 euro le mètre carré, mais une vingtaine d’entre eux ont jeté leur dévolu sur des maisons en vente dans le village.

L’expérience de deux villages bretons

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