Andrea Nahles félicitée par ses pairs après son élection à la tête du SPD, dimanche 22 avril. / DANIEL ROLAND / AFP

Pour la première fois depuis sa fondation, en 1875, le parti social-démocrate d’Allemagne (SPD) va être dirigé par une femme. Andrea Nahles, la présidente du groupe SPD au Bundestag, a été élue à la tête du parti, dimanche 22 avril, lors d’un congrès extraordinaire, à Wiesbaden (Hesse).

Sans surprise, elle l’a emporté face à la seule autre candidate, Simone Lange, maire de la petite ville de Flensburg (Schleswig-Holstein), une inconnue du grand public qui entendait porter la voix de la base contre l’appareil, dans un parti en pleine crise existentielle après quatre défaites successives aux élections législatives.

La surprise, en réalité, vient du résultat obtenu par Mme Nahles : 66 % des voix seulement. Dans l’histoire du SPD, seul Oskar Lafontaine a fait moins bien : 62,6 % en 1995. Avant le congrès de dimanche, les spécialistes des arcanes du parti estimaient qu’un score inférieur à 75 % serait, pour Mme Nahles, un signal décevant.

Un avertissement plus qu’un adoubement

Lors de la proclamation des résultats, dimanche après-midi, les applaudissements ont d’ailleurs été assez mesurés, et la nouvelle présidente, qui est connue pour son caractère « éruptif », comme elle l’a confié dans une récente interview à la Süddeutsche Zeitung, s’est pour l’occasion montrée d’une discrétion inhabituelle, comme sonnée par un résultat qui, pour elle, sonne plus comme un avertissement que comme un adoubement.

Agée de 47 ans, Andrea Nahles en a deux de plus que n’en avait Angela Merkel quand elle fut élue présidente de l’Union chrétienne-démocrate (CDU), en avril 2000. Connaîtra-t-elle un jour le même destin, elle qui, tout juste bachelière, avait confié vouloir être « femme au foyer ou chancelière » ? La question est largement prématurée. Le 24 septembre 2017, le SPD n’a recueilli que 20,5 % des voix aux législatives, le score le plus faible de son histoire.

En cas de nouvelles élections, il pourrait encore reculer. Selon les derniers sondages, il n’obtiendrait qu’environ 17-18 %, soit seulement deux ou trois points de plus que le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD). Pour le SPD, l’enjeu n’est pas de conquérir la chancellerie, mais tout simplement d’assurer sa survie.

De l’opposition à l’accord de coalition

Pour relever un tel défi, Mme Nahles a au moins une qualité : la combativité. Trois jours après la débâcle de son parti aux législatives et alors qu’elle venait d’être élu présidente du groupe SPD au Bundestag, un journaliste lui avait demandé comment elle se sentait. « Un peu mélancolique », avait-elle répondu, avant d’ajouter : « Mais à partir de demain, ils vont s’en prendre plein la gueule ! »

Le « ils » désignait les conservateurs de la CDU-CSU. Ceux-ci étaient prévenus : après avoir siégé pendant quatre ans au gouvernement à leurs côtés en tant que ministre du travail et des affaires sociales, Mme Nahles promettait désormais de les combattre avec la plus extrême vigueur.

Depuis, le contexte a changé du tout au tout. Après avoir échoué à former un gouvernement avec les libéraux et les écologistes, le 19 novembre 2017, Mme Merkel s’est retournée vers les sociaux-démocrates pour tenter de former une « grande coalition », ce qu’elle est parvenue à faire après de laborieuses négociations en se faisant réélire chancelière pour un quatrième mandat, mi-mars.

« Le SPD a été renvoyé dans l’opposition, point final », claironnait Mme Nahles en septembre. Depuis, elle a mis la même passion à convaincre ses « camarades » de la nécessité de participer à nouveau au gouvernement qu’elle avait mis de fougue à défendre la position contraire. Dans cette campagne interne, qui s’est achevée par un vote des deux tiers des adhérents du SPD en faveur d’une nouvelle “grande coalition”, elle aura eu comme principal adversaire, Kevin Kühnert, le chef des « Jusos », les jeunes socialistes.

Positionnement à la gauche du parti

Andrea Nahles face aux « Jusos ». Le face à face de ces dernières semaines ne manque pas de piquant quand on se souvient que c’est précisément comme présidente des jeunes socialistes que la nouvelle patronne du SPD a fait ses premières armes. C’était entre 1995 et 1999. A l’époque, cette fille de maçon née près de Coblence (Rhénanie-Palatinat) et élevée dans une famille très catholique avait été qualifiée de « cadeau des dieux » par Oskar Lafontaine, alors président du SPD.

Elue député en 1998, l’année de l’accession de Gerhard Schröder à la chancellerie, Andrea Nahles sera dans les années suivantes l’une des figures de l’aile gauche du parti. Elle n’ira toutefois pas jusqu’à la rupture, à la différence d’un Lafontaine qui claquera la porte en 2005 pour fonder, deux ans plus tard, le parti de gauche Die Linke.

Dès cette époque, toutefois, son positionnement à la gauche du parti semblait davantage obéir à des considérations tactiques qu’à des convictions inébranlables, comme en témoigne ce qu’elle déclara de l’« agenda 2010 », la réforme controversée du marché du travail mise en œuvre par M. Schröder. « S’agissant de l’agenda, nous aurons peut-être un jour un prix d’honneur pour réformes sincères, mais ce n’est pas avec ça que nous gagnerons les élections », affirma-t-elle ainsi, en juin 2005, six mois avant le départ de M. Schröder de la chancellerie et l’élection de Mme Merkel.

« Les “un point c’est tout” et la testostérone, on en a eu assez ces dernières années ! »

Elue secrétaire générale du SPD en 2009, au lendemain – déjà – d’une sévère défaite aux législatives (23 % des voix), poste qu’elle inaugura avec un discours qui marqua les esprits (« Les “un point c’est tout” et la testostérone, on en a eu assez ces dernières années ! »), Mme Nahles n’est pas seulement une « boxeuse », comme l’a récemment qualifiée le quotidien de gauche Tageszeitung. En tant que ministre de Mme Merkel, elle sut aussi travailler en bonne intelligence avec les conservateurs pour faire adopter la retraite à 63 ans ou la loi sur le salaire minimum, deux réformes emblématiques de la “grande coalition” sortante, portées par le SPD.

Un élu du SPD berlinois l’analyse ainsi :

« Andrea est un vrai caméléon. La même qui, dans l’opposition, attaqua un jour Merkel et ses amis en parodiant le générique de Fifi Brindacier à la tribune du Bundestag, est celle qui, une fois au gouvernement, a peut-être été la meilleure alliée des conservateurs. Cela en fait une femme politique accomplie, extrêmement talentueuse, mais c’est peut-être aussi sa limite. Parfois, cela se voit un peu trop qu’elle fait de la politique. »

Une mission compliquée

A la tête d’un parti électoralement anémié, idéologiquement désorienté et stratégiquement déboussolé, Mme Nahles n’aura pas la tâche facile. Sa mission sera d’autant plus compliquée qu’il s’agit, pour elle, de préparer les conditions d’une victoire sur les conservateurs tout en présidant un parti qui continue de gouverner avec eux.

Dimanche, à Wiesbaden, elle s’en est tenue à des propos très généraux, insistant sur la nécessité de mettre la « solidarité » au cœur du projet social-démocrate. « La solidarité est ce qui manque le plus dans ce monde globalisé, néo-libéral et ultra-numérisé », a-t-elle ainsi affirmé, avant d’afficher sa détermination à enrayer la montée de l’AfD, estimant qu’il s’agissait d’une bataille « pour rien de moins que de préserver la démocratie ».

Pour le reste, Mme Nahles s’est surtout attiré les applaudissements de la salle avec des effets de tribune et des formules à l’emporte-pièce dont elle a le secret.

« Mme Merkel a dit : “Wir schaffen das” [nous allons y arriver]. Eh bien moi, je dis : “Wir packen das” [nous allons prendre les choses à bras-le-corps]. C’est ma promesse. »

Sa victoire, sans appel mais sans éclat, lui a rappelé quelques minutes plus tard qu’il lui reste beaucoup à faire pour espérer exaucer un jour son vœu de bachelière.