Le sociologue dénonce notamment la différence de coût de revient entre un élève de prépa et un étudiant de l’université, ainsi que des niveaux très inégaux d’encadrement. / Camille Stromboni / Le Monde

Maître de conférences à l’université Paris-VIII et chercheur au Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris, Camille Peugny est spécialiste des inégalités sociales. Dans Le Destin au berceau (Le Seuil, 2013), il s’est particulièrement intéressé à la reproduction sociale. Pour démocratiser l’enseignement supérieur, estime-t-il, il faut offrir à l’université des ressources équivalentes voire supérieures à celles allouées aux prépas et aux grandes écoles.

Les grandes écoles sont censées reposer sur un modèle méritocratique. Or, on observe une importante reproduction sociale chez leurs étudiants. Pourquoi ?

Parce que le système des classes prépa et des grandes écoles constitue l’exemple type de la manière dont fonctionne notre système éducatif, qui se donne comme mission première de sélectionner une petite élite destinée à occuper les positions sociales les plus favorables.

Le système éducatif français, davantage et plus tôt que les autres, évalue, classe et trie les élèves. Et comme la réussite scolaire est fortement corrélée à l’origine sociale, on aboutit à une élite qui se recrute massivement dans les milieux les plus favorisés. ­Notre système éducatif sacrifie le plus grand nombre au nom de la sélection d’une petite élite.

Les initiatives de grandes écoles pour aller vers plus de diversité sociale sont-elles des pistes intéressantes ?

Toutes les initiatives pour apporter plus de diversité sont positives, mais ce sont des mesures « cosmétiques », parce que la démocratisation de l’enseignement ne se passe pas dans les grandes écoles, où n’évoluent que 5 % des étudiants. Même si quelques élèves méritants issus des « quartiers » vont en prépa, la plupart des enfants d’ouvriers qui poursuivent leurs études le font à l’université. C’est donc là qu’on peut œuvrer pour la réussite de tous.

On demande aux universités d’absorber la massification scolaire ? Alors qu’on leur donne des moyens identiques voire supérieurs à ceux des prépas ! Ce n’est pas normal qu’un élève de prépa coûte 50 % plus cher qu’un étudiant de l’université. Il faudrait aussi le même taux d’encadrement à la fac. Les prépas ont des effectifs de 30 élèves, contre des amphis de 150 ou 200 étudiants en première année de licence. Or, ceux-ci demandent plus d’attention, car ils sont moins préparés aux études supérieures.

Faut-il en finir avec cette exception française ?

Je ne plaide pas pour la suppression des prépas et des grandes écoles, parce que dans des pays où elles n’existent pas, comme aux Etats-Unis, il y a des universités d’élite qui opèrent une sélection par l’argent. J’estime seulement qu’il faut allouer davantage de moyens aux universités. Si on ne le fait pas, au-delà des raisons budgétaires, c’est parce que notre république s’est construite autour de l’idée du mérite républicain, du « quand on veut on peut ».

Pour preuve que le système fonctionne, on donne toujours en exemple une trajectoire exceptionnelle, telle celle de Rachida Dati, qui est une femme, fille d’immigrés, issue d’un milieu populaire. Mais ces trajectoires exceptionnelles permettent de jeter un voile pudique sur ce qui concerne 90 % ou 95 % du reste du système éducatif. Il faudrait passer d’un système de mérite républicain à un système vraiment démocratique.

Découvrez notre dossier spécial sur le « match » entre universités et grandes écoles

Le Monde publie, dans son édition datée du jeudi 29 mars, un supplément dédié à la rivalité entre universités et grandes écoles. Historiquement concurrents, les deux types d’établissements d’enseignement supérieur tendent à se rapprocher pour exister à l’international. Du duel au mariage de raison...

Les différents articles du supplément seront progressivement mis en ligne sur Le Monde.fr Campus, dans les rubriques Grandes écoles, Etudes sup, Universités, Ecoles d’ingénieurs