Supporteurs du Munster, à Bordeaux, samedi 21 avril. / Le Monde.fr / AP

Francis Jackson cache de sa main la bonne réponse : « Vous savez que la France a même eu un président d’origine irlandaise ? » Le patron du Connemara Irish Pub, à Bordeaux, pose la question devant une affiche accrochée à l’étage. Son document retrace l’histoire du maréchal de Mac Mahon, chef de l’Etat à la fin du XIXe siècle. Mais aussi celles de Jean-Baptiste Lynch et de David Johnston, deux anciens maires de la ville.

Sans remonter aussi loin, les supporteurs du Munster ont raison de se sentir comme chez eux à Bordeaux. Côté tribunes, la demi-finale de Coupe d’Europe s’annonce déséquilibrée au stade Chaban-Delmas, dimanche 22 avril (à partir de 16 h 15). D’un côté, au moins 5 000 membres de la « Red Army » pour encourager la province irlandaise. De l’autre, à peine 2 000 soutiens revendiqués pour son adversaire français, le Racing.

En réalité, les supporteurs du Munster se sentent comme chez eux un peu partout. Il faut les voir, à chaque match, ces bataillons de maillots rouges chantant pour le « Mun-ster ! Mun-ster ! » « Dès que je vois quelqu’un du Munster, je l’aime, il fait partie de ma famille », insiste Darragh Duggan, verre en plastique à la main. Le jeune homme a fait le déplacement avec son père, livreur, dont les mollets font grand effet : le logo de l’équipe tatoué sur une jambe, une mention de la « Red Army » sur l’autre. 

18 h 30, veille de match, quelques bières pour patienter. Aveu de Duggan junior, debout en terrasse : « Honnêtement, à choisir, je préfère un titre en Coupe d’Europe pour le Munster plutôt qu’un grand chelem au Tournoi des six nations pour l’Irlande ! L’équipe nationale joue ses matchs à Dublin, elle. » Sous-entendu : pas dans le sud-ouest de l’île, où le Munster représente un peu plus d’un million d’habitants.

La classe ouvrière aussi

Une terre de passionnés, bien plus que les provinces du Leinster (à Dublin), de l’Ulster (à Belfast) et du Connacht (à Galway) : « Au Munster, tout le monde regarde le rugby, tout le monde va au match, la classe ouvrière aussi. Alors qu’au Leinster, par exemple, le public a un côté beaucoup plus élitiste, beaucoup plus riche », remarque Jonathan Hill, « fils de fermier », lunettes de soleil et espadrille pour profiter de la météo.

Acquiescement de son camarade, John Flynn :

« Nous, on dit souvent qu’il y a trois endroits où la classe ouvrière joue au rugby : au pays de Galles, en Nouvelle-Zélande et… à Limerick ! »

Ah, Limerick et son Thomond Park : 25 000 places, pour une agglomération d’environ 100 000 habitants. Une source de fierté pour cette ville que certains médias surnomment plutôt « Stab City », la ville des « coups de couteaux », pour y stigmatiser la criminalité. La localité accueille tous les matchs à domicile du Munster, en alternance avec Cork, capitale de la province.

Limerick et Cork : deux sociologies différentes mais un passé partagé, écrit l’historien Philip Dine, contacté par Le Monde :

« L’histoire irlandaise associe Cork et Limerick dans leur résistance au colonialisme britannique. Le siège de Limerick, en 1690, est encore régulièrement commémoré. Cork, pour sa part, est toujours connu aujourd’hui comme le “comté rebelle”. » 

« Ici, ici, c’est Montferrand ! »

A Bordeaux, le prix du déplacements peut largement dissuader les foyers les plus modestes. Pour ce match, l’hébergement le week-end et l’aller-retour, comptez environ « 500 euros », selon Aine Gleeson, avocate partie depuis Dublin (« avec une correspondance à l’aéroport de Birmingham », en Angleterre).

Soudain, clameur : « Ici, ici, c’est Montferrand ! », s’exclame la « Red Army », en français dans le texte. Les Irlandais saluent là les quelques supporteurs de Clermont, alias la « Yellow Army », selon un surnom trouvé par la presse irlandaise lors d’un match entre Munstermen et Clermontois. L’amitié entre les deux clubs repose sur une ferveur commune, selon Julien Chalendard, responsable de l’association des Jaunards à Bordeaux : « A Clermont comme au Munster, il y a des gens qui sacrifient leurs vacances pour suivre leur équipe. »

Cette année encore, Clermont et Munster ont failli se retrouver. Las, le Racing a éliminé les Auvergnats en quarts de finale. Alors Julien Chalendard porte sur lui un tee-shirt rouge avec son nouveau mot d’ordre, celui du Munster : « Stand up and fight » (Debout et combat).

D’autres, dans le bar, arborent un badge rouge en hommage à Anthony Foley : l’ancien numéro 8 de l’équipe est mort dans son sommeil en octobre 2016, à Suresnes (Hauts-de-Seine), alors qu’il s’apprêtait à entraîner le Munster contre le Racing pour un match de Coupe d’Europe. Il avait 42 ans et nul ne l’a oublié parmi la Red Army.