Le camion utilisé pour faucher des passants à Toronto, le 23 avril. / STRINGER / REUTERS

C’était l’un des premiers jours de « vrai » printemps à Toronto, au Canada. Lundi 23 avril, juste avant 13 h 30, en plein quartier des affaires, l’heure du lunch battait son plein. A l’angle de deux avenues très passantes du centre-ville, Yonge et Finch, une fourgonnette blanche se lance à fond de train sur un trottoir, fauchant sur près d’un kilomètre vingt-cinq personnes, dont neuf meurent sur place ou lors de leur transport en ambulance. Un des 16 blessés est décédé à l’hôpital, a annoncé la police en soirée. Dans l’après-midi, le bilan de la police de Toronto et des autorités hospitalières faisait état de cinq blessés dans un état critique et de trois dans un état sérieux.

Le conducteur du véhicule-bélier – une fourgonnette louée – a poursuivi sa course folle sur l’avenue Yonge, en direction sud, sur au moins deux kilomètres avant d’être stoppé par la police. Selon des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, il est alors sorti en pointant ce qui semblait être un pistolet sur un policier qui le tenait en joue. Le suspect a crié « tue-moi » à plusieurs reprises. Après quelques secondes, il a cependant jeté ce qu’il tenait dans la main et s’est rendu. Il a été maîtrisé et menotté par le policier, puis placé en garde à vue et interrogé.

Acte solitaire ?

Les forces de l’ordre ont révélé, dans la soirée, son identité. Il s’agit d’Alek Minassian, 25 ans, habitant de Richmond Hill, en banlieue de Toronto. A première vue, il semble avoir agi seul, sans lien avec une organisation terroriste, et n’était pas connu de la police. Le ministre canadien de la sécurité publique, Ralph Goodale, a écarté, en l’état actuel des informations, la thèse d’un attentat terroriste. « Les événements sont horribles, a-t-il dit, mais ne semblent pas liés à une menace à la sécurité nationale. » Le chef de la police de la ville, Mark Saunders, a pour sa part clairement rejeté l’idée d’un accident, parlant d’un « acte délibéré ». Plus tôt dans après-midi, le premier ministre canadien Justin Trudeau avait, lui, qualifié le drame d’« acte insensé ».

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M. Goodale a refusé de hausser le niveau d’alerte terroriste au Canada, lequel porte la cote de « modéré » depuis l’attentat perpétré au Parlement d’Ottawa en octobre 2014. Le ministre était sur place à Toronto depuis dimanche, en compagnie d’autres ministres de la sécurité et des ministres des affaires étrangères de pays du G7, pour une réunion préparatoire au sommet du groupe qui aura lieu au Canada en juin. Ironiquement, le thème de leur rencontre portait le titre : « Construire un monde plus pacifique et plus sûr. »

La police n’a rien révélé lundi de la personnalité ou des motifs du suspect. Sur Facebook, l’individu se présente comme un « incel », involuntarily celibate ou célibataire involontaire, selon la chaîne de télévision Radio-Canada. Il aurait ainsi écrit sur le réseau social : « La rébellion incel a déjà débuté ! Nous allons renverser les Chads et les Stacys ! Tous saluent le Supreme Gentleman Elliot Rodger ! » Alek Minassian fait ici référence à l’auteur de la tuerie d’Isla Vista, en Californie, en 2014, lequel se qualifiait lui-même de Supreme Gentleman.

Longue enquête à venir

L’enquête s’annonce « complexe », avait prévenu le chef-adjoint de la police torontoise Peter Yuen dans l’après-midi, tandis que le quartier du drame était bouclé. Elle « sera longue, avec de nombreux témoins à entendre et beaucoup d’images de caméras de surveillance à visionner », précisait-il. Deux lignes ouvertes ont été mises en fonction, l’une pour les proches des victimes et l’autre pour les témoins du drame. En soirée, Mark Saunders avertissait que les victimes n’avaient pas toutes été identifiées et qu’il était essentiel que les témoins se fassent connaître pour aider à l’enquête.

Le maire de la ville, John Tory, a lancé un appel au calme à la population, tout en demandant aux nombreux commerces et entreprises ayant des bureaux dans le secteur du drame de fermer leurs portes et de renvoyer leurs employés chez eux. En soirée, M. Saunders, prévenait que la journée de mardi ne serait assurément pas une journée « normale » à Toronto, la scène de crime devant demeurer ouverte pour l’enquête. Les activités au centre-ville de la métropole économique du Canada vont être perturbées pendant quelques jours. Plusieurs rues ont été fermées à la circulation lundi, tout comme la station de métro la plus proche du lieu du drame, et devraient le rester pour les jours à venir.

Le chef de la police s’est tout de même montré rassurant en affirmant que « la ville est sûre ». Reste que la sécurité a été renforcée lundi soir autour du Centre Air Canada, où l’on attendait des milliers de personnes pour un match de hockey entre les Maple Leafs de Toronto et les Bruins de Boston. Une minute de silence a été observée avant le début de la rencontre, à la mémoire des victimes.

Les médias on fait état de nombreux témoignages de passants se trouvant non loin du lieu du drame. « C’était comme dans un film, a raconté un jeune homme présent sur l’avenue Yonge. La camionnette fonçait sur le trottoir ; des gens volaient dans les airs ou couraient partout ; c’était horrible. » Rocco Cignielli a aussi décrit à l’Agence France-Presse le passage de la camionnette qui « faisait des zigzags, tantôt sur le trottoir, tantôt sur la chaussée ». Un autre témoin a raconté avoir d’abord cru que le chauffeur du véhicule qui zigzaguait sur le trottoir avait eu un malaise au volant. Puis, il a vu des piétons « tomber les uns après les autres » et a réalisé que le chauffeur les frappait intentionnellement.

Bryan Jenkins, qui rentrait chez lui après le travail, sortait de la station de métro juste après le drame : « C’était le chaos. Les gens étaient hystériques et s’enfuyaient. » Un mauvais « remake » de la quinzaine d’attaques au véhicule-bélier perpétrées à travers le monde depuis quelques années.