C’était il y a tout juste un an. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) annonçait que le vaccin RTS,S/AS01, développé par l’ONG Path et le laboratoire GlaxoSmithKline et plus connu sous le nom de Mosquirix, ferait l’objet d’une étude à large échelle à partir de 2018 au Kenya, au Ghana et au Malawi. Plus de 350 000 enfants devraient ainsi être vaccinés d’ici 2020.

Mais ce qui aurait dû sonner comme une victoire a plutôt fait l’effet d’une annonce en demi-teinte. Car si le RTS, S est bel et bien le vaccin le plus avancé contre le parasite Plasmodium falciparum, principal responsable des cas mortels de paludisme, son efficacité n’est que partielle. Il ne sera donc pas la clé de l’éradication, mais un outil complémentaire dans l’arsenal antipaludique.

Présentation de notre série : Paludisme, la guerre d’usure

« Au début de son histoire, dans les années 1980, ce vaccin a suscité de vifs espoirs, se souvient Robert Menard, directeur de recherche à l’Institut Pasteur, à Paris. Puis on a découvert beaucoup de choses sur la complexité du parasite et on a alors compris que le chemin serait très long. »

« Stratégies d’échappement »

L’idée d’un vaccin a germé très rapidement après la découverte de Plasmodium falciparum, à la fin du XIXe siècle. L’époque était propice : Louis Pasteur venait d’ouvrir une nouvelle voie dans la lutte contre les maladies infectieuses. Mais ces premiers essais n’ont jamais abouti. D’autres ont été menés dans les années 1940, puis dans les années 1970, sans succès.

« Il y a un amalgame entre toutes les maladies infectieuses, mais il ne faut pas perdre de vue que le paludisme est dû non pas à un virus ou une bactérie, mais à un parasite. Et cela change la donne ! », relève Ogobara Doumbo, professeur d’infectiologie et directeur du Malaria Research and Training Center (MRTC) de Bamako.

De fait, à ce jour, il n’existe aucun vaccin contre un parasite. Ces êtres vivants sont bien plus complexes que les autres microbes. Plasmodium falciparum possède ainsi trois types d’ADN et 5 300 gènes. « Cela signifie qu’il produit 500 fois plus de protéines que le VIH ou le virus de la grippe, illustre Pierre Druilhe, ancien chef de laboratoire à l’Institut Pasteur et fondateur de l’initiative Vac4all. Or le RTS, S est un vaccin dit sous-unitaire, qui ne cible qu’une seule de ces protéines. »

Autre particularité : les capacités d’adaptation de Plasmodium. « Ce parasite qui venait des grands singes a en quelque sorte été domestiqué par l’homme quand celui-ci s’est sédentarisé, souligne Ogobara Doumbo. Il y a eu une véritable co-évolution depuis et désormais nous partageons beaucoup de choses ! »

Des milliers d’années ont ainsi permis au parasite de s’adapter à notre système immunitaire. « Plasmodium est le meilleur biologiste cellulaire que l’on connaisse, confirme Robert Menard. Il tire parti du moindre point faible de nos cellules et a développé de nombreuses stratégies d’échappement, pas encore toutes comprises. » Mais le système immunitaire adapte lui aussi sa réponse face au parasite : il « apprend » à le contrôler au fil des infections.

De nombreux échecs

Devant toute cette complexité, les scientifiques ne baissent pas les bras. « “Impossible “n’existe pas en sciences, tranche Ogobara Doumbo. L’espoir qu’un vaccin existera est permis ! » Et si l’on en croit le nombre d’études publiées sur le sujet, les vaccins antipaludiques font l’objet d’une recherche intense.

« Mais la recherche subit aussi le contrecoup des progrès de ces dernières années, nuance Pierre Druilhe. Comme les traitements de nouvelle génération ont permis de diminuer la mortalité, il y a moins de moyens qui sont investis dans les vaccins. C’est dangereux car ce sont deux armes complémentaires. » Premier vaccin sur les rangs, le RTS,S a reçu un soutien fort tout au long de son développement, notamment de la Fondation Bill et Melinda Gates (partenaire du Monde Afrique), mais parfois au détriment des autres projets.

Pierre Druilhe, dont les travaux ont conduit à deux candidats-vaccins prometteurs baptisés MSP3 et LSA3, met aussi en garde contre les résultats expérimentaux qui, trop souvent, n’ont pas de prolongation sur le terrain : « Ce n’est pas parce qu’on a vacciné avec succès des souris à Oxford ou Paris qu’on est en passe de sauver les populations impaludées ! » Les échecs, nombreux certes, ne sont pas vains. « Les allers-retours entre le laboratoire et le terrain font partie du jeu et nous avons beaucoup appris », rappelle Ogobara Doumo.

Le MRTC de Bamako a participé aux recherches sur de nombreux vaccins, dont le PfSPZ. Contrairement aux vaccins sous-unitaires comme le Mosquirix, celui-ci vise à développer l’immunité contre le Plasmodium dans son intégralité. Ce ne sont donc pas une ou plusieurs protéines du parasite qui sont injectées mais le parasite entier, vivant et inactivé par irradiation. Ce vaccin, développé avec la société Sanaria, a déjà fait l’objet d’une quinzaine d’essais.

« Il doit bien entendu y avoir des discussions avec la FDA [Food and Drug Administration, l’agence américaine de régulation des médicaments], mais nous avons bon espoir que ce produit soit disponible d’ici 2022 », précise Ogobara Doumbo. Si l’efficacité du PfSPZ semble prometteuse (un peu plus de 50 % à long terme en zone d’endémie), reste à savoir si la présence de sérum humain (dont l’innocuité absolue ne peut être établie) et les conditions de conservation et de transport à très basse température autoriseront des essais à grande échelle.

Protéger la communauté

Un vaccin « altruiste » est également en cours de développement au Mali, en partenariat avec le National Institute of Allergy and Infectious Diseases, aux Etats-Unis. « Les personnes vaccinées produisent des anticorps qui seront ingérés par les moustiques au moment de la piqûre et qui bloqueront le développement du Plasmodium. L’objectif est de stopper la transmission du parasite », explique Ogobara Doumbo, qui souligne que les premiers résultats montrent une efficacité au-delà de celle attendue.

Un vaccin solidaire, où l’on se vaccine non pas pour se protéger soi-même mais pour protéger la communauté, c’est peut-être aussi par là que passera l’éradication du paludisme.

Cet article a été réalisé dans le cadre d’un partenariat avec Roll Back Malaria (RBM).

Sommaire de notre série Paludisme, la guerre d’usure

Dans une série en dix épisodes, Le Monde Afrique détaille les enjeux de la lutte contre cette maladie parasitaire qui a provoqué 445 000 décès dans le monde en 2016.

Présentation de notre série : Paludisme, la guerre d’usure