Dans un atelier à Dacca (Bangladesh), le 19 avril. / A.M. Ahad / AP

Editorial du « Monde » Il y a cinq ans, le 24 avril 2013, un immeuble de Dacca, capitale du Bangladesh, s’effondrait sur les 5 000 employés du textile qui y travaillaient dans des conditions indignes et sans aucune sécurité. Lorsque les sauveteurs finirent enfin de trier les décombres du Rana Plaza, le bilan s’élevait à 1 135 morts. Passé à la postérité comme l’un des plus grands désastres industriels de l’histoire moderne, le Rana Plaza est aussi devenu le symbole de l’exploitation d’une main-d’œuvre bon marché, dans cette partie du monde, employée par des sous-traitants eux-mêmes contractés par de grandes firmes multinationales de prêt-à-porter qui prétendaient ne rien savoir de ce qui se passait au bout de la chaîne.

La catastrophe du Rana Plaza a au moins eu un effet salutaire : celui de réveiller l’opinion publique des pays développés et de stimuler les organisations internationales, gouvernementales et non gouvernementales, veillant aux droits de cette catégorie de travailleurs. Un fonds d’indemnisation des victimes a été mis en place. Des syndicats ont émergé. Deuxième pays exportateur de vêtements de prêt-à-porter après la Chine, le Bangladesh a bénéficié de cette mobilisation, qui a abouti à la signature d’un accord sur la sécurité des ateliers sous les auspices de l’Organisation internationale du travail.

A ce jour, 222 grandes entreprises du marché international ont souscrit à l’accord, parmi lesquelles Adidas, H&M et Uniqlo. Il concerne 1 600 usines du Bangladesh, dont 767 ont achevé leur mise en conformité, et 2 millions de travailleurs, dont 70 % de femmes. L’accord a aussi permis à des syndicats de travailleurs du textile d’attaquer en justice des employeurs qui refusaient ou tardaient à prendre des mesures de sécurité dans les usines ; une grande entreprise internationale, qui a obtenu que son nom soit gardé secret, a ainsi été condamnée en janvier par un tribunal d’arbitrage à La Haye à verser 2,3 millions de dollars (1,9 million d’euros) de dommages et intérêts aux syndicats représentant les travailleurs bangladais du textile.

Vendre moins cher pour vendre plus

En France, une loi sur « le devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordres » est entrée en vigueur en 2017, après un long parcours législatif. Elle impose aux entreprises employant au moins 5 000 salariés en France et 10 000 dans le monde de veiller à la sécurité et au respect des droits humains des travailleurs contribuant, y compris dans le cadre de sous-traitance, à leur activité.

Voilà pour les bonnes nouvelles. Il reste, cependant, beaucoup à faire. Des milliers d’ateliers au Bangladesh ne sont toujours pas couverts par l’accord. Cet accord venant à échéance le 1er mai 2018, un texte de transition a dû être durement négocié, qui prolonge sa validité jusqu’à 2021 mais n’a pas encore recueilli la totalité des signataires. Le patronat et le gouvernement bangladais renâclent. Le travail des enfants reste un énorme problème, de même que les conditions salariales des travailleurs du textile, qui ne sont pas couvertes par l’accord de 2013 : des grèves lancées au Bangladesh pour appuyer ces revendications ont été durement réprimées.

Il reste aussi aux géants européens du prêt-à-porter à réfléchir sur leur modèle économique, qui est de vendre toujours moins cher pour vendre plus. Cela implique que les consommateurs, eux aussi, se posent la question du prix humain de ces tee-shirts si bon marché.