Des courriers et des billets photographiés dans l’appartement d’Abdulkadir Macharipov, l’auteur de l’attentat de la Reina à Istanbul, en janvier 2017. l’attaque avait été revendiquée par l’organisation Etat islamique. / OZAN KOSE/AFP

« Le combat est loin d’être terminé », martèle-t-on à l’Elysée. Après la perte par l’organisation Etat islamique (EI) de la quasi-totalité des territoires qu’elle contrôlait depuis 2014 en Irak et en Syrie, la menace terroriste s’adapte et mue, notamment sur le volet financier. Ce constat réunit à Paris, mercredi 25 et jeudi 26 avril, 80 ministres de 72 Etats, 18 organisations internationales et près de 500 experts de la lutte contre le financement du terrorisme pour confronter leurs expériences et esquisser un ensemble de « bonnes pratiques » à globaliser.

Le président français, Emmanuel Macron, avait annoncé la tenue de cette conférence, baptisée « No Money For Terror – Conférence de lutte contre le financement de Daech et d’Al-Qaïda », lors de son discours aux ambassadeurs de France réunis à Paris fin août 2017. Après deux jours de tables rondes à huis clos dans les locaux de l’Organisation de coopération et de développement économiques, M. Macron clôturera la conférence. Aucune annonce concrète n’est attendue, mais une déclaration de principes collective, destinée à être portée au niveau international.

« Pour nous, c’est un engagement renouvelé au service du multilatéralisme. C’est ensemble, collectivement, que l’on peut peut-être éradiquer, ou du moins réduire, la menace globale », dit-on à l’Elysée. Le rôle qu’entend jouer Paris sur ce dossier, relégué au second plan par les opérations militaires, est salué par ses partenaires. « La France se distingue par une position constructive et réaliste. Nous sommes ici pour soutenir cet engagement français dans la lutte contre le financement du terrorisme, qui nécessite plus de coopération », estime le ministre des affaires étrangères émirati, Anouar Bin Mohammed Gargash.

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Possibilités de résurgence

La victoire militaire contre l’EI en Irak et en Syrie « ne nous prémunit ni contre la résurgence de Daech [acronyme en arabe de l’EI] ni contre l’activité des groupes et individus ayant prêté allégeance à cette organisation – encore récemment en France – ou à Al-Qaïda », alerte l’Elysée. Outre des poches de résistance de l’EI en Syrie, des possibilités de résurgence existent dans des régions volatiles comme l’Afghanistan, l’Asie du Sud-Est, le Yémen, le Sinaï, la Libye, le Sahel et l’Afrique subsaharienne.

L’argent constitue le nerf de la guerre. « Pendant trois ans, de 2014 à 2016 », poursuit-on à l’Elysée, « Daech a accumulé un énorme trésor de guerre, de l’ordre d’un milliard de dollars par an. Il a depuis circulé, au moins en partie, il est vraisemblablement quelque part (…). Ces groupes sont très doués pour utiliser les techniques les plus sophistiquées pour faire circuler les flux financiers, ils savent se jouer des frontières ». Al-Qaida a, pour sa part, déjà décentralisé le financement de ses groupes, laissant à chacun la charge de se financer.

Dans les pays du Sahel s’observe un phénomène d’hybridation croissant entre les djihadistes et les réseaux de trafiquants et de contrebandiers

« Il convient d’adapter la lutte contre le financement du terrorisme à la réalité car chaque groupe fonctionne différemment et exploite les vulnérabilités des pays », explicite l’Elysée, soulignant « l’opportunisme et le pragmatisme » des groupes terroristes et la « sophistication croissante des moyens de transfert » de l’argent. La France plaide pour une levée de l’anonymat des transferts financiers et un meilleur contrôle des nouveaux instruments monétaires comme les cartes prépayées, les portefeuilles électroniques, le crowdfunding ou les monnaies virtuelles.

Mais, souligne-t-on à l’Elysée, « pour Daech, le trésor de guerre n’est pas que monétaire. Il a investi dans des entreprises, des commerces, des biens immobiliers qu’il gère ou fait gérer par proxy. Dans sa logique de prédation extrême, il a volé, détourné une quantité importante d’objets d’art ». Dans les pays du Sahel s’observe un phénomène d’hybridation croissant entre les djihadistes et les réseaux de trafiquants et de contrebandiers, qui recouvrent souvent les mêmes groupes familiaux ou ethniques.

« Part de déni »

Particulièrement concernés par cette menace, les pays du Moyen-Orient – à l’exception de la Syrie et de l’Iran, qui n’étaient pas invités – ont répondu à l’appel. Le contrôle des flux financiers dans ces pays, et notamment dans les pays du Golfe et la Turquie, souvent mis à l’index pour leur manque de transparence ou leur laxisme envers des financiers des groupes terroristes présents sur leur territoire, est une préoccupation majeure.

« Dans ses contacts avec le prince-héritier saoudien ou l’émir du Qatar, le président de la République a clarifié un certain nombre de choses et obtenu des engagements. Des mécanismes se mettent en place. Les choses prennent un peu de temps, ce n’est pas aussi simple qu’on peut l’imaginer mais on ne doute pas de la volonté des princes arabes de tenir leurs engagements », dit-on à l’Elysée.

« Nous sommes là pour nous pencher sur l’argent venu du Golfe, qui peut non pas venir d’Etats mais de personnes privées. Il y a encore une part de déni, mais ça évolue », reconnaît le ministre Gargash, particulièrement acerbe envers le Qatar, avec qui les Emirats arabes unis et l’Arabie saoudite sont en crise ouverte depuis juin 2017. Cette crise régionale pourrait miner la conférence de Paris. « Parmi les différends, il y a la question du soutien de tel ou tel à des groupes terroristes. Tous sont invités et nous souhaitons que les représentants de ces Etats sachent mettre un mouchoir sur leurs différends », dit-on à l’Elysée.

La journée de mercredi est consacrée à des tables rondes d’experts aux profils variés (magistrats, services de renseignements, cellules financières). Elles seront animées notamment par Bruno Dalles, directeur de la cellule antiblanchiment du ministère français des finances (Tracfin), François Molins, procureur de la République, ou Emmanuel Moulin, directeur de cabinet du ministre français des finances.

La journée de jeudi sera ouverte par Peter Neumann, directeur de l’International Center for the Study of Radicalisation du King’s College de Londres, auteur en août 2017 d’une étude remarquée dans laquelle il estimait que « la guerre au financement du terrorisme telle qu’elle est menée depuis 2001 a souvent été coûteuse et improductive ».