Les rappeurs Kollegah et Farid Bang lors de la remise du prix Echo dans la catégorie « Hip-Hop » à Berlin, le 12 avril 2018. / AXEL SCHMIDT/POOL/REUTERS

Pas un jour ne passe sans que le « scandale du prix Echo », comme l’a baptisé la presse allemande, ne prenne un peu plus d’ampleur. Deux ­semaines après la remise de cette prestigieuse récompense musicale aux rappeurs Kollegah et ­Farid Bang, lauréats dans la catégorie « Hip-Hop », la liste des artistes ayant décidé de rendre leurs ­propres Echos en signe de protestation ne cesse de s’allonger. En cause : le dernier album des deux rappeurs allemands, Jung, brutal, gutaussehend 3 (Jeune, brutal, beau gosse 3), dont l’une des chansons évoque « mon corps plus dessiné que ceux des prisonniers d’Auschwitz », tandis qu’une autre appelle à « commettre à nouveau un Holocauste ».

Parmi les derniers à avoir rendu leurs Echos – l’équivalent des Victoires de la musique, créé en 1992 : Daniel Barenboim et Renaud Capuçon. Lundi 23 avril, le chef d’orchestre et pianiste israélo-argentin, sept fois lauréat, a dénoncé un album aux textes « clairement antisémites, misogynes, homophobes et d’une façon générale méprisants pour la dignité humaine ». Quelques heures plus tard, le violoniste français lui emboîtait le pas à peu près dans les mêmes termes. « J’ai décidé de rendre mes Echo Preis pour protester contre l’attribution de ce prix à un groupe de rap dont les paroles des textes sont racistes, antisémites et indignes de la dignité humaine », a-t-il indiqué sur Twitter, lundi soir. La concomitance n’est pas fortuite. Quadruple lauréat du prix Echo, M. Capuçon doit donner deux concerts à ­Berlin, les 5 et 6 mai. Il se produira dans la salle Pierre-Boulez, où se trouve l’académie de musique de M. Barenboim, qui accueille de jeunes musiciens du Proche-Orient, quelles que soient leur religion ou leur nationalité.

Pour l’instant, l’hémorragie a moins touché le monde de la variété que celui de la musique classique

Avant eux, d’autres artistes avaient également décidé de renvoyer leurs récompenses, comme le chanteur allemand Marius Müller-Westernhagen, l’un des plus primés (il en a reçu huit au total), ou le producteur Klaus Voormann, qui a reçu cette année un Echo d’honneur pour l’ensemble de sa carrière. Pour l’instant, toutefois, l’hémorragie a moins touché le monde de la variété que celui de la musique classique où, rapporté à l’ensemble des lauréats, la part de ceux ayant rendu leurs prix est plus importante. C’est notamment le cas du chef d’orchestre Enoch zu Guttenberg, du pianiste Igor Levit ou du vio­loniste Andreas Reiner. Plusieurs ensembles renommés outre-Rhin ont fait de même, comme le Staatskapelle de Dresde, dirigé par Christian Thielemann et dont les membres ont justifié leur décision en ces termes : « Un prix qui met les ventes au-dessus de tout et qui, le jour du souvenir de la Shoah, diffuse en direct une émission qui se moque des victimes du IIIReich devient un symbole de cynisme auquel nous ne pouvons souscrire. »

Dans un contexte particulier

Les responsables du prix Echo n’ont pas tardé à réagir. Trois jours après la remise de la récompense controversée aux rappeurs Kollegah et Farid Bang, qui se défendent de tout antisémitisme, le président de la Fédération allemande de l’industrie musicale (BVMI), Florian Drücke, a promis un « audit global » et un « renouvellement des mécanismes de nomination et d’attribution du prix ». Il n’en a cependant pas dit davantage. Les lauréats sont désignés par un jury qui n’a cependant qu’une latitude limitée, puisque les nominés sont ceux qui, dans chaque catégorie (pop, rock, schlager, hip-hop, etc.), figurent dans le Top 5 des meilleures ­ventes de l’année écoulée.

Il n’est pas certain que ces promesses suffiront. Déjà, certains s’interrogent sur l’avenir du prix. C’est le cas de Thomas Schreiber, l’influent responsable des divertissements de la chaîne publique ARD, qui retransmettait la remise du prix Echo jusqu’en 2017. « L’industrie musicale met la tête dans le sable. (…) L’Echo n’a plus aucune justification, ni sur le plan du contenu ni sur le plan moral », a-t-il récemment déclaré au quotidien Die Welt.

La condamnation de la remise du prix Echo aux deux rappeurs, à laquelle ont également souscrit le ministre allemand des affaires étrangères, Heiko Maas, ainsi que le Comité international d’Auschwitz, s’inscrit dans un contexte particulier outre-Rhin, où la question de l’antisémitisme occupe une place de plus en plus grande dans l’actualité depuis quelques semaines. Une semaine après l’agression, à Berlin, d’un jeune Israélien qui portait une kippa, les représentants de la communauté juive de la capitale allemande ont appelé tous les habitants de la ville, mercredi 25 avril, à en revêtir également à leur tour, en signe de solidarité.