Les tournois du Grand chelem sont très peu concernés par le problème, selon les enquêteurs. / Manu Fernandez / AP

Le tennis a un grave problème, et il ne s’agit pas des retraites prochaines de Roger Federer et Rafael Nadal : c’est bien plus bas qu’il doit regarder, au pied de l’échelle du professionnalisme, où les matches truqués sous influence des parieurs sont fréquents.

Un rapport indépendant, dévoilé mercredi 25 avril après deux ans d’enquête d’un coût estimé à 20 millions d’euros, confirme les inquiétudes. C’est à « un tsunami » d’infractions qu’est confronté le tennis dans les petits tournois, selon le mot d’un enquêteur de l’Unité pour l’intégrité du tennis (TIU). De nombreux joueurs acceptent de perdre un jeu, un set ou un match pour gagner leur vie, soit en pariant eux-mêmes soit en étant de mèche avec des parieurs professionnels.

Les niveaux Challenger, deuxième échelon mondial, et Future, le troisième, sont concernés. Beaucoup moins le circuit principal de l’ATP et encore moins les tournois du Grand chelem, selon les rapporteurs, « bien qu’il y ait des preuves de problèmes à ces niveaux également ».

« La structure de rémunération des joueurs crée un terrain fertile pour la fraude, constatent-ils. Seuls les 250 femmes et 350 hommes les mieux classés gagnent suffisamment d’argent pour être à flot. Il y a pourtant quelque 15 000 joueurs dits “professionnels”. »

Les enquêteurs recommandent que les perspectives de progression au classement et, surtout, les gains sur ces tournois soient plus importants, tandis que les centaines de millions d’euros du circuit ont été captées par les tous meilleurs joueurs.

Trois quarts des paris suspects concernent le tennis

Le magazine Stade 2, dans une enquête diffusée dimanche 15 avril, montrait comment il était plus simple de gagner de l’argent en perdant un jeu qu’en gagnant un match sur ces tournois sous-dotés, qui se jouent généralement à l’abri des regards.

L’enquête de Stade 2 : dans les coulisses du tennis et des matches truqués
Durée : 01:19

« Les joueurs peuvent “s’autofinancer” en pariant eux-mêmes sur la perte de leur match, qui les arrange dans la mesure où ils peuvent ensuite disputer un autre tournoi ; ils peuvent aussi parier sur des actions spécifiques, comme la perte d’un jeu ou d’un set, qu’ils peuvent ensuite garantir. Ils peuvent aussi donner des informations sur leurs intentions, leur état de santé ou de forme à d’autres personnes », expliquent les enquêteurs mandatés par les entités dirigeantes du tennis. Sur les petits tournois, les joueurs sont souvent, en pratique, en contact direct avec des personnes non accréditées.

Les joueurs sont rarement suspendus : « La subtilité du tennis, dans lequel un petit effort ou l’absence d’effort peuvent décider d’un point, d’un jeu, d’un set ou d’un match, rend difficile à détecter une mauvaise performance délibérée de la part d’un joueur. Même quand un joueur peut être soupçonné d’être délibérément mauvais, cela peut être dû à une volonté de perdre non liée aux paris ». Pour s’économiser physiquement ou aller disputer un autre tournoi plus rémunérateur qui commence le lendemain, par exemple.

L’accord financier qui a encouragé les paris truqués

Selon l’association des parieurs sportifs, plus des trois quarts des opérations suspectes concernent le tennis, qui n’est pourtant que le quatrième sport en termes de mises totales.

Un opérateur de paris résume : « la situation dans le tennis est plus que sombre ». Il a même identifié une « saison des matches truqués », d’octobre jusqu’à la fin de l’année, où l’on peut voir « jusqu’à deux ou trois matches truqués par jour sur les différents tournois ITF ».

L’avocat Adam Lewis, dont le cabinet a mené l’enquête sur les paris truqués dans le tennis, lors d’une conférence de presse à Londres le 25 avril. / Alastair Grant / AP

Le rapport met en lumière l’inaction des entités dirigeantes du sport, qu’il s’agisse de la Fédération internationale (ITF), des circuits professionnels (ATP et WTA) ou des quatre tournois du Grand chelem, accusées de ne pas avoir fait assez pour lutter contre ce fléau. La TIU, mise en place en 2009, a trop peu de moyens pour faire face avec ses dix-sept employés, dont les enquêtes commencent parfois plusieurs mois après un signalement.

Au contraire, les autorités ont aggravé le problème en vendant aux opérateurs de paris les données de match en direct, qui facilitent grandement les paris « jeu par jeu » et donc le trucage des rencontres. Le pactole de la vente, 70 millions de dollars sur cinq ans, était visiblement trop tentant pour l’ITF. Les rapporteurs recommandent aujourd’hui de mettre fin à ce contrat, qui expire fin 2020.

Pas moins de 85 000 matches de tennis étaient ouverts aux paris en 2017. Le chiffre a plus que doublé en quatre ans à la faveur de cet accord. Avant lui, les paris étaient rares sur les matches des plus petits tournois.

« Le panel considère que le maintien d’un statu quo quant au nombre de matches ouverts aux paris serait désastreux pour le tennis », peut-on lire dans le rapport. Les signalements de schémas de paris suspects ont explosé depuis la vente de résultats en direct, comme le montre le tableau ci-dessous, extrait du rapport.

En 2017, 15 matches de tournois du Grand chelem ont été concernés par des alertes et 37 sur des matches du premier niveau ATP. Les alertes étaient au nombre de 109 sur les tournois Challenger et 185 sur les Future, des chiffres en baisse par rapport à 2016. Ces signalements ne correspondent pas forcément à un match suspect mais doivent alerter les enquêteurs de la TIU.

Les hommes nettement plus concernés

Entre 2009 et 2017, 83 % de ces alertes ont concerné le circuit masculin. Au niveau Challenger - des tournois généralement remportés par des joueurs classés autour de la 100è place mondiale -, en 2017, pas moins d’un match sur 100 a fait l’objet d’un signalement.

Les données de l’ITU montrent qu’entre 2013 et 2017, 135 joueurs ont fait l’objet de trois alertes concernant l’un de leur match. Pour 23 d’entre eux, le nombre d’alerte s’élève à au moins six. « La probabilité qu’un joueur ait commis une infraction augmente généralement avec le nombre d’alertes », constatent les rapporteurs.

Une autre des recommandations des enquêteurs consiste à mettre fin au sponsoring de tournois par des sociétés de paris. Ils estiment aussi que la TIU devrait être davantage indépendante, même si les enquêteurs disent n’avoir aucune preuve de cas dissimulé par les dirigeants du tennis mondial.

Entre 2009 et 2017, seuls 35 joueurs ont été sanctionnés pour avoir enfreint le règlement sur les paris. Quasiment tous étaient classés au-delà de la 500è place mondiale. C’est, pourtant, un changement radical dans le fonctionnement du tennis professionnel que les rapporteurs appellent de leurs vœux.