Peter Szijjarto, le ministre des affaires étrangères et du commerce hongrois , le 26 avril, au Parlement européen. / Wiktor Dabkowski / Wiktor Dabkowski/ZUMA Wire/dpa

Un débat d’une rare intensité a opposé, jeudi 26 avril, au Parlement européen, un des principaux ministres du gouvernement hongrois à des députés, membres de la commission des libertés civiles et de la justice (LIBE). Peter Szijjarto, ministre des affaires étrangères et du commerce, s’en est très vivement pris à Judith Sargentini, une députée écologiste néerlandaise, auteure, à la demande du Parlement, d’un projet de rapport sur la situation des libertés en Hongrie.

« Vous voulez protéger mon pays de je-ne-sais-quoi, mais vous ne pouvez pas remettre en question les décisions du peuple ! », s’est enflammé le ministre, rappelant la récente victoire électorale du parti Fidesz de Viktor Orban. Estimant que le rapport présenté – qui doit encore être débattu, amendé et voté par trois autres commissions avant d’être transmis au Conseil européen – ne comportait « que des mensonges et tout sauf des faits », M. Szijjarto a contesté en bloc toutes ses affirmations.

Invité par le président de la commission, Claude Moraes (travailliste britannique), à « maintenir la dignité » de cette session de travail, le ministre a renchéri, dénonçant les attaques portées, selon lui, contre son pays. « Combien de citoyens européens ont voté en votre faveur pour que vous vous arrogiez le droit de me juger ? », a-t-il demandé au président avant que celui-ci ne close ce débat plus que houleux.

La question des réfugiés

Dans son rapport, le premier du genre pour le Parlement, Mme Sargentini égrène tous les griefs portés depuis plusieurs années contre le régime de M. Orban, promoteur de l’idée de « démocratie illibérale » : menaces sur la liberté des médias, remise en cause de l’indépendance de la justice, attaques régulières contre les organisations non gouvernementales, regain d’antisémitisme, remise en question de certains droits sociaux, etc.

Ce sont toutefois les allusions à la politique migratoire du régime Orban, et son refus d’accepter le principe de solidarité pour l’accueil des réfugiés, qui ont enflammé la discussion. « Nous continuerons à protéger nos frontières, à dire non aux quotas obligatoires [pour l’accueil des réfugiés] et à ceux qui affirment qu’une société multiculturelle à plus de valeur qu’une société homogène », a expliqué le ministre. Il a ensuite ajouté : « J’ai une mauvaise nouvelle pour vous : nous ne permettrons pas la mise en œuvre de la politique prônée par Soros. Nous voulons protéger l’histoire et la culture européennes. »

S’il vise donc George Soros, le milliardaire d’origine hongroise, créateur d’une université en Hongrie et bête noire de M. Orban – qui le désigne comme « l’ennemi caché, rusé, malhonnête » –, M. Szijjarto rejette toutefois toute accusation d’antisémitisme, affirmant que son gouvernement a, au contraire, encouragé « la renaissance de la communauté juive hongroise ». Ce n’est pas en Hongrie, a-t-il souligné, qu’on agresse un jeune homme qui porte la kippa ou qu’on assassine une vieille dame juive, en allusion aux récents événements survenus en Allemagne et en France.

Malaise au Parti populaire européen

« J’entends le discours le plus affligeant, le plus alarmant, le plus scandaleux depuis que je suis membre de ce Parlement », a répliqué l’élu Vert allemand Jan Philip Albrecht. On notait, même au sein du groupe du Parti populaire européen, un malaise, une élue déplorant que la Hongrie « identifie les Européens comme des ennemis ».

Le Parlement devra désormais décider du sort de ce rapport et de sa suite. Plusieurs groupes politiques devraient réclamer le déclenchement de l’article 7 du Traité européen. Il vise à garantir le respect, par tous les Etats membres, de l’Etat de droit et des valeurs fondamentales de l’Union. Il comporte un mécanisme dit « de prévention » autorisant le Conseil européen à alerter le pays concerné, et un autre de sanction, avec la suspension de certains droits pour ce pays, dont son droit de vote au Conseil.

Le Parlement a déjà adopté, en mai 2017, une résolution en vue du lancement de la procédure contre la Hongrie. En juillet de la même année, la Commission menaçait, elle, la Pologne. Elle a enclenché l’article 7 en décembre. Ces initiatives n’ont pas eu de réelles conséquences pour les pays concernés jusqu’ici.

Des eurodéputés évoquaient toutefois, jeudi, la menace d’un gel, ou d’une réduction, des fonds structurels pour Budapest. Une idée qui agite aussi la Commission, où l’on parle de conditionner l’attribution de ces fonds au respect de l’Etat de droit, à l’accueil des réfugiés, etc. Les mécanismes qui permettraient d’y parvenir restent toutefois incertains.

La situation ne paraît pas inquiéter outre mesure les élus européens du Fidesz : « Après les résultats des prochaines européennes en Hongrie et en Pologne, nous pourrons faire en sorte que le PPE reflète vraiment les valeurs européennes », assénait l’un d’eux. De quoi aggraver le malaise dans le camp des conservateurs, dont font partie les présidents du Conseil, de la Commission et du Parlement.