Donald Trump et Emmanuel Macron, à la Maison Blanche, le 24 avril 2018. / JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH-POLITICS POUR "LE MONDE"

Captée à l’Elysée par la caméra de Patrick Rotman (Le Pouvoir, 2013), la scène date de 2012. François Hollande est entouré de ses proches conseillers, dont Emmanuel Macron, pour préparer une réunion avec Angela Merkel, avec laquelle le président socialiste espère encore imposer un rapport de force. « Elle veut danser le tango avec toi, et elle pense que c’est elle qui doit mettre la jambe droite », lance le conseiller, dont c’est la première apparition « publique ».

Désormais président, Emmanuel Macron s’inspire encore de cette image : car c’est bel et bien à un tango endiablé qu’il s’est livré avec Donald Trump tout au long de sa visite d’Etat aux Etats-Unis. Une danse calculée, avec un vaste éventail de tempos et de rythmes, chacun des protagonistes tentant de prendre l’ascendant sur l’autre et de le guider.

Une chorégraphie que Macron lui-même a semblé assumer au dernier jour de sa visite, s’exprimant devant le Congrès américain : « Ça ne vous rappelle rien ? », a-t-il interrogé, en évoquant les « kisses » (« baisers ») et les « hugs » (« embrassades ») de Voltaire et Benjamin Franklin, à Paris, en 1778.

C’est d’abord M. Trump qui a pris M. Macron par la main, comme on prendrait celle d’un enfant, pour le conduire vers son bureau où les deux hommes devaient s’entretenir de sujets délicats (nucléaire iranien, Syrie, commerce, etc.). Plus tard, dans le bureau Ovale, l’Américain a commencé par flatter le Français, en assurant qu’ils avaient tous les deux une relation « très privilégiée », avant d’épousseter ostensiblement le col de sa veste. « Je vais retirer ces quelques pellicules », a-t-il lancé. Ce qui a laissé M. Macron pantois.

Ne pas perdre la face

Le soir même, lors d’une conférence de presse à la Maison Blanche, M. Macron essaie de reprendre l’avantage, saisissant avec fermeté la main de M. Trump. Mais ce dernier refuse de relâcher l’étreinte. Mutante, la poignée de main n’en finit pas. Piégé, le Français se rapproche de l’Américain pour lui donner l’accolade, mais c’est M. Trump qui a le dernier mot, en faisant mine de présenter sa joue à Macron tout en lui donnant un baiser factice. Il ajoute ces mots : « Je l’aime beaucoup. » A la fin de l’envoi, je touche.

Ce tango s’est poursuivi sur les réseaux sociaux. « Impatient de regarder le président de France s’adresser au Congrès aujourd’hui. (…) Il sera GÉNIAL ! », a tweeté Donald Trump avant le discours d’Emmanuel Macron, mercredi, tandis que ce dernier publiait la photo d’une vigoureuse poignée de main avec l’Américain sur son propre compte.

M. Trump, qui avait subi la poignée d’acier très calculée de M. Macron, lors de leur première rencontre, il y a un an, de même que l’exégèse vantarde de son propre geste à laquelle le Français s’était ensuite livré, n’avait pas l’intention – cette fois – de s’en laisser compter. Vu par nombre de dirigeants étrangers comme un possible « coach » censé raisonner un président américain imprévisible, M. Macron a dû, en réalité, se plier au tempo imposé par son aîné.

Ce que François Hollande a d’ailleurs osé commenter ainsi, mercredi, dans l’émission « Quotidien » : « Emmanuel Macron est plutôt passif dans le couple. » Pour le porte-parole de l’Elysée, Bruno Roger-Petit, il ne faut pas « surinterpréter les images de manière excessive, ce sont des démonstrations d’affection américaine ».

Pour les intéressés, ce jeu de « kisses and hugs » présente de nombreux avantages. Une façon pour M. Macron de se placer comme l’égal de M. Trump, tout en masquant les différends apparents, sans perdre la face. Une manière, pour Donald Trump, redoutable animal politique, d’endormir son jeune allié afin de rester maître du jeu.