Lors d’une manifestation contre les pesticides, à Grenoble, en 2011. / JEAN-PIERRE CLATOT/AFP

Serait-ce le début de la fin pour les néonicotinoïdes ? Vendredi 27 avril, les représentants des Etats membres de l’Union européenne devraient se prononcer sur l’interdiction de l’usage de cette famille d’insecticides sur toutes les cultures de plein air.

L’incertitude planait encore jeudi quant à la possibilité d’atteindre la majorité qualifiée requise (55 % des Etats membres représentant 65 % de la population totale de l’UE) lors de la réunion du comité spécialisé chargé du dossier – le Comité permanent sur les plantes, les animaux, les denrées alimentaires et les aliments pour animaux.

La France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne figurent parmi les pays ayant annoncé publiquement leur position en faveur de l’interdiction. Plus discrets, les pays qui y sont opposés comprendraient l’Espagne, la Pologne ou encore la Hongrie, d’après nos informations. Le vote se jouera en fonction d’une demi-douzaine de pays dont la position n’est pas encore connue, notamment la Belgique, le Portugal, la Grèce ou encore l’Italie, qui représente 11 % de la population de l’UE.

Lobbying des industriels de la betterave

Proposé par la Commission européenne, le texte en discussion prévoit de reconduire et d’étendre l’interdiction de trois néonicotinoïdes (clothianidine, imidaclopride, thiaméthoxame), dont elle avait partiellement restreint l’utilisation en décembre 2013. Il s’agit donc cette fois non seulement de prolonger ce moratoire, mais aussi de le généraliser à toutes les cultures de plein champ, seul l’usage sous serre restant autorisé.

Des mesures combattues par un lobbying intensif du secteur des pesticides et des industriels de la betterave à sucre, une des cultures jusque-là épargnées par le moratoire. Par ailleurs, un jugement de la Cour de justice européenne, saisie par les deux fabricants de néonicotinoïdes, Bayer et Syngenta, devrait intervenir avant la fin de l’année.

Le 20 mars, près de 90 eurodéputés avaient écrit au président de la Commission pour l’enjoindre de « tout mettre en œuvre pour convaincre les représentants des États membres » de voter l’interdiction. Mais un premier vote en comité, le 22 mars, avait été reporté faute de majorité.

Le dossier scientifique concernant ces « tueurs d’abeilles », neurotoxiques et très persistants, est pourtant plus qu’étayé. Considérée comme conservatrice et proche des intérêts des industriels, l’Autorité européenne de sécurité des aliments est elle-même parvenue en février 2018 à la conclusion que les néonicotinoïdes sont très toxiques pour les abeilles mellifères, les bourdons et les abeilles solitaires.

De nombreuses études désignent ces insecticides comme les principaux responsables de l’effondrement des populations d’insectes pollinisateurs. Mis sur le marché dans les années 1990, ils sont appliqués en enrobage des semences lors du semis, c’est-à-dire en usage préventif, et se disséminent rapidement au-delà des cultures, contaminant l’environnement et les fleurs sauvages.

Plus récemment, ce sont leurs effets en cascade sur d’autres espèces animales qui ont été mis en évidence. En octobre 2017, une étude publiée dans la revue scientifique PLoS One avait fait les titres des journaux dans le monde entier. A partir de données de captures d’insectes réalisées depuis la fin des années 1980 en Allemagne, elle suggérait que les populations d’insectes avaient chuté de presque 80 % en moins de trente ans en Europe. En accusation : les « nouvelles méthodes de protection des cultures », qui comprennent les néonicotinoïdes.

En mars, des données publiées par le CNRS et le Muséum national d’histoire naturelle soulignaient une disparition d’un tiers des populations d’oiseaux en quinze ans en France. Une disparition qualifiée par les chercheurs de « proche de la catastrophe écologique » et également attribuée aux pratiques agricoles intensives.