Chronique. Pour sa troisième année à Sciences Po et à la Sorbonne Paris-IV, Léo Amsellem est parti en échange universitaire à la George Washington University. En stage, le temps d’un semestre, auprès d’un sénateur, à Washington, il raconte la rencontre des étudiants avec le président français, mercredi 25 avril.

Le président Emmanuel Macron répond aux questions des étudiants de l’université George-Washington, mercredi 25 avril, à Washington. / LUDOVIC MARIN / AFP

Le discours aux étudiants devient un classique dans le parcours d’Emmanuel Macron. Le président français a clôturé sa visite d’Etat aux Etats-Unis, la première de l’ère Trump, par un échange avec les étudiants de l’université George-Washington.

Loin du ton officiel de la veille, à la Maison Blanche et au Congrès, il a opté pour un format townhall, si apprécié des Américains : pas de discours, seulement des questions du public. Le lien est direct, les questions ne sont pas connues de l’orateur, il existe donc une connexion entre l’audience et le tribun et, « en même temps » un risque pour ce dernier. Risque tout relatif : cette université est très largement acquise aux démocrates, et même les républicains y sont souvent très modérés et éloignés des positions du gouvernement Trump. Nul doute que le président français ferait face à un public déjà conquis.

Emmanuel Macron s’est donc offert une nouvelle standing-ovation, après celle des élus du Congrès, mardi, saluant son discours acéré abordant les thèmes clivants du climat, du nationalisme et de l’accord sur le nucléaire iranien.

Pour s’adresser à la jeunesse américaine, le chef de l’Etat a joué la carte du jeune président progressiste. Le choix des lieux et du format de l’intervention avait été soigneusement calibré. Washington, capitale des Etats-Unis, est aussi celle du District de Columbia (DC), qui a voté à plus de 90 % pour Hillary Clinton en 2016. Un terrain conquis d’avance pour un politicien modéré.

Eléments de langage savamment préparés

Après avoir interviewé de nombreux étudiants, je dois me rendre à l’évidence : Emmanuel Macron a décroché la mention très bien. Les mêmes formules reviennent avec une telle régularité qu’on croirait à des éléments de langage politiques savamment préparés et martelés par des militants fidèles. « Jeune », « dynamique », « brillant », « nouveau », « différent », « honnête », « peu politicien »… la plupart des étudiants présents disent se reconnaître dans ce jeune président qui leur parle de multilatéralisme, des droits des femmes et des minorités, de lutte contre le réchauffement climatique. Et qui a étonné par sa maîtrise des dossiers et son énergie.

Après les bises et les accolades de la veille à la Maison Blanche, M. Macron avait endossé un costume anti-Trump. Il est volontiers comparé à Barack Obama, Justin Trudeau, voire John Kennedy. J’entends même parler de French dream, qui viendrait remplacer un rêve américain en voie d’extinction.

Le « en même temps » – sur lequel le président a lui-même ironisé – était de mise. Ainsi de Saumya Khanna, étudiante en affaires internationales de 21 ans, démocrate fervente et encartée, et d’Alex Fried, 22 ans, étudiant en économie et républicain tout aussi fervent et encarté. Leur position est similaire : soutien inconditionnel à ce dirigeant ni de droite ni de gauche.

Des protestataires pour une « convergence des luttes »

Pour trouver un avis dissonant, je rejoins un groupe d’étudiants venus d’autres universités pour protester sous des bannières critiquant les récents bombardements en Syrie et l’« impérialisme franco-américain ». Ces militants d’extrême gauche assumés n’ont pas souhaité que je mentionne leurs noms. Ils me montrent une vidéo tournée quelques minutes auparavant. On y voit un agent de sécurité tenter d’arracher leurs affiches. On entend distinctement son accent français.

Pour ces manifestants, la jeunesse d’Emmanuel Macron n’est que « jeunisme ». Son amitié avec son homologue américain ? Normale, puisqu’ils défendent le même public, « les ultrariches et l’ordre néolibéral ». Son seul salut se trouve dans sa position d’opposant au changement climatique – aux Etats-Unis, aujourd’hui, accepter la légitimité des sciences est une position politique forte…

Ces protestataires sont très au courant des grèves en France, ils appellent à une « convergence des luttes ». Sur le dossier iranien, ils prônent le droit des pays à décider de posséder l’arme nucléaire, consacrant au passage la souveraineté des nations avec vigueur. Intrigué, je demande naïvement à ceux d’entre eux se revendiquant communistes comment la défense de la souveraineté nationale est compatible avec l’internationalisme. Silence. Je n’obtiendrai pas ma réponse.

Derrière ces convictions, ces positions diverses et variées énoncées par les uns et les autres, s’esquisse une forme sinon de consensus, du moins d’espoir partagé : Emmanuel Macron, plus qu’un dirigeant français de plus, est fantasmé en leadeur d’une Europe unie, auréolé d’une gloire perdue par Angela Merkel peinant à former son gouvernement à Berlin. Certains lui prêtent des ambitions plus grandes. « Sa voix porte et sa contribution à l’ordre international est bienvenue », dit l’un. Il est décrit comme « bien plus audible que ses prédécesseurs » – à vrai dire méconnus outre-Atlantique.

« Bol d’air frais », « rempart aux extrémismes », l’homme d’En marche ! semble avoir trouvé cette fontaine de jouvence qui prévient des populismes et du nationalisme. Sa victoire face à Marine Le Pen a rassuré ceux qui suivirent, abasourdis, l’ascension de la french Trump dont la victoire semblait la suite logique du Brexit et de la présidentielle américaine.

Une amitié avec M. Trump, une « astuce géniale »

Même son amitié avec Donald Trump est vue comme une « astuce géniale » lui permettant de capitaliser d’un côté grâce aux « décisions émotionnellement dirigées » de son homologue, et en même temps de « se poser publiquement à l’opposé de Trump », analyse Max Bone, étudiant en affaires internationales.

Informés que les Etats-Unis sont redevenus les premiers investisseurs en France en 2017, les jeunes Américains rencontrés à Washington pensent la France en plein rebond économique et technologique. Certains se disent même prêts à venir y travailler. Les grèves ? « Elles n’affaiblissent pas Emmanuel Macron », pense Max Bone. Après tout, « il y a toujours des grèves en France ». Elles deviennent le thermomètre de la cadence réformatrice, selon cet étudiant francophile revendiqué. Durant son discours, le président français l’a d’ailleurs dit et répété : il tiendra. « Un renoncement signifierait pour lui le coup d’arrêt de la transformation du pays », tranche Max Bone.

Last but not least, dans un entretien téléphonique, Tom Crean, un étudiant de l’université qui fut l’un des jeunes soutiens célèbres de Donald Trump durant la campagne de 2016, ayant écumé les plateaux, se dit lui-même presque sous le charme d’Emmanuel Macron. Avant, il le voyait plutôt comme « un politicien inexpérimenté qui brasse du vent ». Mais, à l’occasion de cette visite d’Etat, Tom Crean reconnaît qu’il incarne « un type nouveau de leadership, fort, de rang international ». Il loue son amitié avec Donald Trump, qui favorisera les « relations de travail ».

Il apprécie également son « ouverture » et son « courage », comme en témoigne l’interview – elle aussi calibrée – à la chaîne Fox News, très appréciée des partisans de M. Trump. Même son revirement au discours du Congrès, au cours duquel Macron a « poignardé dans le dos » Trump, selon la presse américaine, n’est pas vu par Tom Crean comme une trahison. Après tout, « ce n’est que de la politique »