Le directeur général d’Axa Thomas Buberl lors de l’assemblée générale du groupe, le 25 avril 2018. / ERIC PIERMONT / AFP

Agé de 43 ans, le directeur général d’Axa Thomas Buberl a succédé en 2016 à Henri de Castries à la tête du groupe Axa. Allemand, il a fait l’essentiel de sa ­carrière en Suisse, puis outre-Rhin. Invité du Club de l’économie du Monde, mercredi 25 avril, il est revenu sur les enjeux du couple franco-allemand et les évolutions de son métier.

Le gouvernement mène ses réformes à marche forcée. A-t-il raison de privilégier la vitesse plutôt que la concertation, alors qu’en Allemagne la ­codécision avec les syndicats semble au centre de toute évolution ?

Il est clair que nous sommes aujour­d’hui en France à un point d’inflexion. L’Etat redéfinit son rôle et cherche à accroître la compétitivité du pays. Mais on ne peut pas comparer avec la situation de l’Allemagne, où la cogestion se pratique depuis maintenant soixante-dix ans. ­Celle-ci est marquée par un dialogue proactif où les entreprises, les politiciens et les syndicats se préoccupent plus de demain que d’aujourd’hui ou d’hier.

Je rêve que ce modèle s’implante en France. Mais cela nécessite un apprentissage. Ce n’est pas une question de maturité, mais de confiance. Je suis très heureux que quelqu’un [le président Emmanuel Macron] ait compris cet enjeu et mette toute son énergie dedans. C’est important pour la France et pour l’Europe.

Justement, le couple franco-allemand semble manquer d’une dynamique. Pourquoi ?

Les deux pays se trouvent dans des situations très différentes. En France, la situation est claire avec un leadeur déterminé, qui a développé une vision très claire de l’Europe. En Allemagne, la situation est compliquée par une coalition difficile à mener et une nouvelle opposition avec l’AfD [parti d’extrême droite]. La chancelière [Angela Merkel] est en train de construire pour elle-même et sa coalition une vision de son pays. Il ne sera pas facile de trouver un accord européen, d’autant qu’il faudra compter avec les petits pays qui font entendre une autre voix.

Si nous voulons une nouvelle dynamique en Europe, nous devons nous interroger sur les défis auxquels elle fait face. Sur ceux de la sécurité extérieure et des migrations, mais aussi, au plan économique, sur la position de l’Europe face aux Etats-Unis et à la Chine, et sur la création de champions économiques pour faire face à ces grandes forces. Emmanuel Macron a inventé un nouveau narratif pour la France, il faut faire de même pour l’Europe.

Quel rôle les grandes entreprises ­peuvent-elles y jouer ?

Définir le rôle des entreprises, c’est redéfinir celui de l’Etat. Une entreprise ne peut pas se focaliser uniquement sur la génération de profits, mais aussi sur sa fonction dans la société, même si le gardien de l’intérêt commun reste l’Etat. Nous pouvons favoriser les échanges de salariés entre la France et l’Allemagne, par exemple. Chacun doit se demander combien il peut créer d’emplois en France et dans les territoires difficiles.

Le gouvernement prépare un projet de loi qui va concerner l’épargne ­retraite et favoriser la sortie en capital plutôt qu’en rente. Vous y êtes opposé. Pourquoi ?

Parce que le besoin a fortement augmenté. Si je veux avoir 1 000 euros par mois de retraite aujourd’hui, j’aurai besoin de deux fois plus d’argent épargné qu’il y a dix ans à cause des taux bas. Il faut donc inciter fortement à l’épargne. Le problème, c’est qu’au moment de la retraite si on dispose d’une somme importante, on va la répartir, donner à ses enfants, voyager et en garder un peu. Ce sera autant d’argent qui n’ira pas dans l’économie réelle, car les gens sont individuellement très conservateurs dans leur appétit d’investissement. Les Suisses se sont posé la question et ont conclu qu’il fallait fermer cette voie de la sortie en capital.

Quel rôle l’assurance doit-elle jouer dans le domaine de la santé et de la dépendance ?

Nous avons des offres dans plusieurs pays, notamment en France, mais la seule réponse assurantielle n’est pas suffisante. Il faut développer des services. Par exemple, en améliorant le parcours médical du client. Nous avons monté un service de télémédecine, il y a deux ans, dont 10 000 clients peuvent profiter. Vous appelez et, dans 70 % des cas, votre problème est résolu immédiatement.

Plus besoin d’aller chez le médecin, de prendre rendez-vous et d’attendre ou d’aller aux urgences. Dans le cas des maladies chroniques, les 20 % des risques qui créent 80 % des dépenses, on peut mieux accompagner le parcours de soins, avec de nouvelles technologies. Au-delà du simple paiement des factures, il faut que l’on apporte de vrais services.

Dans le cadre de votre recentrage sur la santé et l’assurance-dommage, vous aviez décidé de vous séparer de votre activité de gestion d’actifs Axa IM, avant de vous raviser. Pourquoi ?

Nous avons eu beaucoup de sollicitations de mariage. Nous les avons examinées avec le conseil d’administration et avons conclu que rester seul était la meilleure solution. Cette activité est extrêmement stratégique. Pour notre bilan d’assurance-vie, une usine de gestion d’actifs très efficace nous assure l’accès à des actifs illiquides de long terme. C’est stratégique, et nous refusons le mariage avec quelqu’un d’autre. Point final.

En mars, vous avez annoncé le rachat pour 12 milliards d’euros de l’assureur américain XL. La Bourse vous a ­sanctionné. Le comprenez-vous ?

C’est assez normal, car il y a des risques dans ce changement d’une Axa focalisée sur les marchés financiers, vie et épargne, à une Axa recentrée sur l’assurance dommage et les risques de base de l’assurance. Nous devrons réussir la mise en Bourse de nos activités américaines, intégrer le métier d’XL et enfin réduire notre endettement au niveau d’avant la transaction. Si cela marche, et je suis extrêmement confiant, nous aurons repositionné Axa pour le futur.

Les GAFA hésitent à se lancer sur le marché de l’assurance. Le danger est-il écarté ?

Google a lancé un comparateur, et Amazon veut se lancer. Ils sont pour l’instant dans la distribution et l’intermédiation, et restent loin du cœur de notre métier, qui est très réglementé. C’est pour nous un signal d’alarme. Ils apportent une relation et une proximité avec les clients et les besoins. Cela nous pousse de nouveau à nous renforcer dans les ser­vices, comme la télémédecine, et à faire en sorte que le paiement des sinistres devienne l’exception dans cette relation. Je vois dans tout cela un nouvel âge d’or pour les assureurs.