Pensé comme une peinture vivante en 3D, le jeu narratif « 11-11 Memories Retold » abordera la Grande Guerre en se centrant sur les témoignages épistolaires. / Aardman / DigiXart / Bandai Namco

Yoan Fanise est le co-concepteur de « Soldats inconnus : mémoires de la Grande Guerre » (Ubisoft, 2014), jeu d’aventure pacifiste récompensé de nombreuses fois. Après un interlude musical inabouti sur smartphone, il a annoncé mercredi 25 avril son second projet centré sur la première guerre mondiale, le jeu narratif « 11-11 : Memories Retold » (Bandai Namco, fin 2018).

Attendu sur consoles, il est cette fois coréalisé par le studio d’animation britannique Aardman (« Wallace & Gromit », « Chicken Run »). L’ancien directeur audio raconte à Pixels son rapport à cette période, et pourquoi celle-ci appelle des jeux vidéo plus intimistes.

11-11 Memories Retold | Teaser Trailer
Durée : 01:05

C’est la seconde fois que vous abordez la guerre 1914-1918 dans un jeu vidéo. Pourquoi ?

Yoan Fanise : Il y a deux raisons. La première est liée à la rencontre à Paris avec le studio Aardman lors du festival Games for Change [dédié aux jeux ayant une ambition politique ou sociétale]. C’est un sujet que l’on a en commun, et ils nous ont proposé de faire un projet ensemble.

La seconde raison est personnelle : comme des millions de Français, mon grand-père a été dans les tranchées. Il y a perdu une jambe, son frère y est mort. J’ai en ma possession toutes les lettres qu’il a envoyées. Il y relate aussi bien la vie sur le front qu’hors du front. Derrière ses mots, on sent qu’il tente de cacher l’inquiétude parce qu’il veut protéger sa famille, mais on devine l’horreur de la guerre. Rien qu’avec toutes ces lettres, il y a tant à raconter...

Par rapport à « Soldats inconnus », vous ne travaillez plus avec le dessinateur Paul Tumelaire, mais avec ce studio d’animation britannique, Aardman. Qu’est-ce que cela change ?

Avec Paul, c’était génial. Maintenant, la direction artistique est assurée par Bram Ttwheam, un artiste qui a une patte incroyable. Il a fait en 2014 un court-métrage magnifique, Flight of the Stories, qui raconte un vol de guillemets, qui symbolisent les lettres des soldats anglais se dirigeant jusqu’au British Museum.

Flight of the Stories - Our New First World War Galleries
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Dans la continuité de ce dernier, on a lancé l’idée d’un jeu qui soit une peinture vivante, avec l’idée folle de le faire en 3D, car je sortais de deux projets en 2D et voulais revenir à des déplacements libres.

Entre « Soldats inconnus » et « 11-11 Memories Retold », un autre titre sur la première guerre mondiale est sorti, la superproduction « Battlefield 1 ». Cela change-t-il la donne pour vous ?

Pas du tout. Je ne l’ai pas fini mais j’y ai joué, et c’est du Battlefield. Même s’il donne un nom aux personnages morts au combat, cela reste un jeu de tir, on ne retrouve pas la spécificité de la première guerre mondiale. Après, visuellement, il y a un travail de recherche qui est complètement fou.

Bande-annonce officielle de lancement de Battlefield 1
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Comment expliquez-vous que la première guerre mondiale, qui a tellement inspiré la littérature, soit si rarement abordée en jeu vidéo ?

On le sent dans « Battlefield 1 », la variété des armes d’époque et leur efficacité sont faibles. Il y a peu de munitions, de longs temps de refroidissement, et d’un point de vue game design, pour un jeu de tir, ce n’est tout simplement pas très drôle.

Par ailleurs, dans la première guerre mondiale, il n’y a pas vraiment de « méchants », pas d’idéologies clairement définies. C’est une guerre plus difficile à cerner. Il n’y a pas non plus de croix gammées, et sorti des casques à pointe allemands, son iconographie est moins forte.

Alors que la seconde guerre mondiale a inspiré d’innombrables œuvres « pulp ». Le jeu vidéo reste très ancré dans la pop culture ?

Oui, il y a de cela. En revanche, il est plus évident de montrer la futilité de la guerre avec la première guerre mondiale. Cela permet de parler de l’humain, d’aller au-delà des seuls affrontements.

Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre
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Ce que je trouve beau en lisant les lettres des deux camps, c’est de voir à quel point Français et Allemands vivent la même chose. Il y a des moments de fraternisation. On le voit un peu dans le film Joyeux Noël [de Christian Carion], mais en fait, c’était tout le temps. Quant un camp jouait aux cartes, par exemple, si l’autre l’entendait, il l’acclamait... Il y avait toute une relation sonore entre tranchées.

Choisir la première guerre mondiale comme thème plutôt que la seconde, c’est donc se donner la possibilité de délivrer un message pacifiste ?

Oui. D’ailleurs, c’est après la première guerre mondiale que naît le mouvement pacifiste, la Société des nations, etc. Après la seconde, il y a des idéologies, il faut choisir un camp, c’est différent. Mais le sous-titre du jeu, c’est « Memories Retold », et on peut imaginer aborder par la suite bien d’autres choses que la guerre. Ce que je veux, c’est pouvoir raconter le passé de manière équilibrée. Les choses ne sont jamais ni blanc ni noir.