La ministre du travail, Muriel Pénicaud, n’a pas lésiné sur les hyperboles pour surligner la dimension novatrice de sa réforme : « révolution copernicienne », « big bang »… Conformément au calendrier initialement évoqué, le projet de loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » a été présenté, vendredi 27 avril, en conseil des ministres. Il transforme en profondeur l’assurance-chômage, la formation professionnelle et l’apprentissage.

L’un de ses principaux objectifs est de donner des droits supplémentaires et des outils nouveaux aux actifs afin de faciliter leur cheminement dans un monde du travail en mutation permanente, avec la montée du numérique, de l’intelligence artificielle et la transition écologique. Une multitude d’acteurs et de procédures sont touchés, ce qui suscite des questions, voire des critiques – en particulier du côté des régions et des organisations syndicales.

Des droits à la formation dégradés ?

Opérationnel depuis début 2015, le compte personnel de formation (CPF) était, au départ, doté d’un crédit d’heures, augmenté au fil des années. Il sera désormais libellé en euros. Mais ce changement, radical, est dénoncé par les syndicats, car il revient à convertir les droits, stockés sur le CPF, au taux de 14,22 euros par heure. Or, la moyenne était plutôt de 30 à 40 euros, avec des pics à 50 euros et plus dans certaines branches, affirme Yvan Ricordeau (CFDT) : « Concrètement, ça veut dire moins de droits pour les salariés. Il faudra attendre quatre ans pour pouvoir suivre une formation qualifiante et intéressante, alors qu’auparavant, deux à trois années suffisaient pour accumuler le crédit requis. »

L’économiste Bertrand Martinot, lui, y voit plutôt une mesure « redistributive » : un CPF en heures introduisait de l’iniquité, selon lui, car le coût d’une heure d’une formation pour un cadre est souvent plus élevé que pour d’autres catégories.

« Si les actions de formations sont importantes, les travailleurs pourront compléter leur CPF avec leurs propres moyens ou demander à leur employeur de faire des abondements », poursuit M. Martinot.

A Matignon, on fait remarquer que les ressources allouées au CPF seront accrues (0,37 % de la masse salariale des entreprises, contre 0,2 %, aujourd’hui).

Des pénalités pour réduire les contrats courts ?

Pour limiter le recours aux contrats courts, le gouvernement demande aux branches professionnelles de négocier. Si elles ne prennent pas de mesures satisfaisantes contre la précarité, il mettra en œuvre le bonus-malus, un dispositif qui diminue les prélèvements pesant sur les patrons vertueux et qui les majore dans les entreprises où le turn-over est massif.

Pour Bruno Coquet, de l’Observatoire français des conjonctures économiques, les branches sont incapables d’arrêter des décisions déterminantes sur cette problématique. A ses yeux, mieux vaudrait instaurer dès à présent un bonus-malus avec un taux dégressif en fonction de la longueur effective du contrat : ainsi, tous les employeurs seraient assujettis au même taux de cotisation, au début, puis celui-ci baisserait au fur et à mesure que le contrat se prolonge. Le patronat des hôtels-cafés-restaurants ne veut pas en entendre parler.

« Notre économie repose sur la saisonnalité et l’événementiel. Nous avons besoin des contrats courts pour fonctionner ; sinon, nous ne serons plus compétitifs », justifie-t-on à l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie.

Un plan social dans le monde de la formation continue ?

A l’heure actuelle, les fonds consacrés à la formation continue sont recueillis par des organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), que les partenaires sociaux coadministrent. A l’avenir, cette tâche sera confiée au réseau des Urssaf, tandis que les OPCA se transformeront en « opérateurs de compétences », avec de nouvelles missions : financement des contrats en alternance, etc. Or, plusieurs milliers de personnes travaillent dans les OPCA et sont « potentiellement concernées par des restructurations, observe Maxime Dumont (CFTC). Nous avons des grosses inquiétudes pour elles ».

Les « opérateurs de compétences » ont deux ans et demi devant eux pour faire évoluer leurs personnels, puisque la collecte des contributions pour la formation continue leur sera retirée début 2021, explique Thierry Teboul, directeur général de l’Afdas, l’un des OPCA présents sur le marché. La reconversion des salariés relève du domaine du « faisable » pour M. Teboul.

« Je ne sais pas quelles seront les conséquences de la réforme en termes de ressources humaines pour nous, enchaîne Yves Hinnekint, patron d’Opcalia, un autre OPCA. Cela dépendra notamment du nombre de contrats d’apprentissage que nous allons gérer. » Mais il n’est pas exclu que la charge de travail s’accroisse, dit-il, et qu’il faille même étoffer les effectifs.

Un système d’apprentissage privatisé ?

Jusqu’à présent, les régions jouaient un rôle central en matière d’apprentissage : elles percevaient une fraction importante de la taxe allouée au système et leur feu vert était requis pour créer des centres de formation des apprentis (CFA). Seront désormais au cœur du réacteur les branches professionnelles. Il leur reviendra, entre autres, de définir le coût de prise en charge des contrats d’apprentissage par les « opérateurs de compétences » (ex-OPCA). Les CFA ouvriront librement et seront financés en fonction du nombre de contrats signés. On passe ainsi d’un fonctionnement administré à une logique de marché.

« C’est une privatisation complète », s’indigne David Margueritte, de l’association d’élus Régions de France. D’après lui, les branches, à l’exception des plus grandes, ne sont pas outillées pour exercer les prérogatives qui leur sont octroyées et bon nombre de CFA vont voir leurs comptes plonger dans le rouge – notamment dans le monde rural et dans les zones urbaines sensibles.

A Matignon, on fait valoir que les régions disposeront de deux enveloppes financières – l’une pour tenir compte de problématiques liées à « l’aménagement du territoire », l’autre pour réaliser des investissements dans les CFA. Mais les sommes prévues sont insuffisantes, aux yeux des régions. « Qu’elles les utilisent et on verra après », rétorque-t-on dans l’entourage du premier ministre, en rappelant que certaines d’entre elles ne consacrent pas l’intégralité du produit de la taxe d’apprentissage aux apprentis.