« Non c’est non », « Je te crois »... Des associations de défense des droits des femmes manifestaient, jeudi 27 avril, à Pampelune (Espagne). / Alvaro Barrientos / AP

Qu’est-ce qu’un viol ? Où doit-on placer la ligne entre une agression sexuelle et un abus sexuel ? L’absence de consentement ne suffit-elle pas ? Faut-il qu’il existe des menaces ou des coups ? Est-il nécessaire que la victime résiste pour que le viol soit attesté ? Que ces questions agitent l’Espagne est peu dire. Le pays est en émoi depuis le verdict prononcé, jeudi 26 avril, par un tribunal de Pampelune dans l’affaire dite de « la Meute ».

Cinq hommes âgés de 27 à 29 ans ont été condamnés à neuf ans de prison pour « abus sexuel » aggravé « d’abus de faiblesse » contre une jeune femme de 18 ans, à laquelle ils ont imposé des relations sexuelles en groupe dans le hall d’un immeuble, en marge des fêtes de Pampelune de 2016.

Les trois juges chargés de l’affaire ont rejeté les chefs d’accusation de « viol » et d’« agression sexuelle », provoquant la colère de milliers de personnes qui sont sorties dans les rues des principales villes du pays à l’appel des associations féministes en brandissant des pancartes contre « la justice patriarcale » et sous les slogans « Ce n’est pas un abus, c’est un viol » et « Moi je te crois ».

La polémique a même atteint le gouvernement espagnol, sommé par les médias de prendre position. Après avoir demandé que soit respecté le travail des juges, soumis à une forte pression sociale, le ministre de la justice, Rafael Catala, a demandé à la Commission générale de qualification des crimes et délits qu’elle étudie l’opportunité de l’actualisation des paragraphes du code pénal en matière d’agression sexuelle, qui date de 1995.

Le parquet entend faire appel

La justice espagnole fixe comme critères objectifs aux condamnations pour « agression sexuelle » que « l’atteinte à la liberté sexuelle » se produise par le biais de « l’utilisation de la violence ou de l’intimidation ». Les « abus sexuels » sont ceux qui se produisent « sans violence ou intimidation, et sans qu’il y ait consentement ».

Le gouvernement a déjà pris position dans l’affaire, par le biais du porte-parole Iñigo Mendez de Vigo, qui a regretté « la méprisable agression sexuelle subie par la jeune femme » et annoncé, vendredi, que le parquet, qui avait demandé vingt-deux ans de prison pour un délit « d’agression sexuelle », entend faire appel du jugement. « Le gouvernement est et sera toujours contre ce fléau qu’est la violence contre les femmes », a dit M. Mendez de Vigo.

Dans la même lignée, la ministre de la défense et secrétaire générale du Parti populaire (PP), Maria Dolores de Cospedal, avait déjà demandé la révision de la qualification juridique du viol, en insistant sur le fait que « comme personne, comme citoyenne et comme femme », il lui était difficile « d’admettre le contenu du verdict ». Plus généralement, tous les partis ont regretté la décision des juges.

Le « #metoo » espagnol

L’affaire de « la meute », c’est le « #metoo » espagnol. Dès le début, le récit de la victime a été mis en doute. Les avocats des accusés ont fourni aux juges des photos – obtenues par un détective – de la jeune fille après l’agression, souriante. Le juge a accepté l’un des clichés comme preuve. Et dans les médias, une partie de l’opinion a culpabilisé la victime. Parce qu’elle a accepté qu’un groupe d’hommes qu’elle venait de rencontrer l’accompagne jusqu’à sa voiture. Parce qu’elle était seule, à trois heures du matin. Parce qu’elle ne s’est pas débattue lorsqu’ils lui ont soudain saisi le poignet pour l’entraîner dans un coin sombre. Parce que sur les vidéos, « humiliantes » selon les juges, qu’ils ont prises de l’agression, elle garde en permanence les yeux fermés, soumise, sans réaction, pendant qu’ils la manipulent « comme un objet ». En position de faiblesse face à cinq hommes, dont un militaire et un garde civil, elle assure être entrée en état de choc.

Pour toutes ces raisons, les Espagnols ont suivi le procès cet hiver, en direct et avec passion. Le risque était que le tribunal relaxe les cinq hommes. L’un des trois juges a d’ailleurs défendu cette posture lors du verdict, en estimant que la vidéo des accusés montrait « des actes sexuels dans une ambiance de fête et de jouissance ». En les condamnant à neuf ans de prison pour « abus sexuel » et en y ajoutant la condition aggravante de supériorité physique, les juges ont validé la version de la victime, mais ils n’ont cependant pas satisfait ceux qui voulaient en faire un procès exemplaire.

Pour le porte-parole de l’association progressiste Juges pour la démocratie, Joaquim Bosch, l’interprétation du tribunal sur l’absence d’« intimidation », comprise comme des menaces, « se base sur la jurisprudence ». Mais il reconnaît que « le contexte et les circonstances de l’affaire paraissent refléter une intimidation qui annule toute résistance et supposerait une agression sexuelle ».

La véritable question que pose le procès de « la Meute » est, selon lui, qu’« historiquement, la jurisprudence ne s’est pas mise à la place des victimes pour comprendre les particularités de ces cas ». Et de demander « plus de formation depuis une perspective de genre pour percevoir cette complexité » ainsi que « des réformes légales qui en tiennent compte ». La société espagnole les réclame. Les partis politiques aussi. Et le gouvernement espagnol se montre prêt à les aborder. Le « #metoo » espagnol est bien décidé à changer un système judiciaire perçu comme « patriarcal ».