Editorial du « Monde ». « Le plan de la dernière chance ». Combien de fois cette formule a-t-elle été brandie comme pour se persuader que les leçons du passé avaient été tirées et que, acculés, nous nous déciderions enfin à prendre la mesure du délabrement des banlieues, qui abîme la société française tout entière ? Pourtant, depuis quarante ans, après une dizaine de « plans banlieue », « plan de rénovation urbaine » et autres « plan Marshall pour la ville », cette ultime chance n’a jamais été vraiment saisie, laissant le sentiment d’une incurie des pouvoirs publics et d’une impuissance collective.

Tel Sisyphe, Jean-Louis Borloo s’attelle une nouvelle fois à la tâche, en espérant que ce soit enfin la bonne. L’ex-ministre à l’origine du programme national de rénovation urbaine de 2003 a au moins le mérite de savoir de quoi il parle, à la fois sur le fond et sur les limites de l’exercice. A la demande d’Emmanuel Macron, qui veut « changer le visage de nos quartiers d’ici à la fin du quinquennat », il a remis, jeudi 26 avril, au premier ministre, Edouard Philippe, un rapport qui livre un constat alarmiste, justifiant des préconisations détonantes.

Le constat d’abord. C’est celui de ces « 500 000 jeunes de 16 à 24 ans, en bas des tours, les bras croisés ». Celui de ces  1 500 quartiers labellisés « politique de la ville », qui regroupent 5,5 millions de personnes, où les taux de chômage et de pauvreté représentent plus du double de la moyenne nationale et où l’échec scolaire est devenu la norme. C’est aussi celui d’un décalage grandissant entre la parole publique et la situation sur le terrain.

« Une mystification »

« Moins on en a fait en matière de politique de la ville, plus on a annoncé de dispositifs, de chiffres, de politiques prioritaires », affirme M. Borloo. A la clé, une double peine pour ces quartiers. Alors que la distribution confuse des crédits au gré des contraintes budgétaires n’était pas à la hauteur des besoins, on a fait passer les banlieues pour un tonneau des Danaïdes. « Une mystification », dénonce l’ex-ministre de la ville. La réalité, c’est moins de services publics, moins d’équipements, moins de capacités financières des communes.

Pour y remédier, les préconisations s’inscrivent dans une logique globale et transversale. Là où les plans précédents se sont souvent contentés d’une rénovation urbaine plus ou moins aboutie, M.Borloo propose de s’attaquer simultanément au chômage, à l’éducation, au logement, à la mobilité et à la diversification des élites. Il s’agit d’encourager le recrutement d’apprentis issus de ces quartiers, d’organiser un suivi de tous les instants des enfants en difficulté, grâce à des « cités éducatives », de créer une « académie des leadeurs », capable de casser la « consanguinité » de nos grandes écoles. Le tout accompagné d’une véritable révolution, avec la création d’une juridiction chargée de sanctionner l’inaction des administrations en faveur des banlieues.

La sincérité de M.Borloo ne peut être mise en doute. Ce qu’en retiendra M.Macron, le 22 mai, lors de l’annonce de son plan de mobilisation pour les quartiers défavorisés, est une autre histoire. Nombre d’élus constatent, depuis un an, que la politique de la ville se résume à une baisse des moyens et à un manque de perspective criants. Faute de volonté politique, justifiée par des moyens budgétaires limités, le gouvernement peut être tenté, de nouveau, de faire du saupoudrage. Ce serait une erreur.