Le bateau des anciens présidents a concouru lors de la finale de la Course croisière Edhec, samedi 28 avril. / Course Croisière Edhec

« Mais l’Edhec, n’est-ce pas une école de voile ? » La question, qui revenait souvent quand la Course croisière Edhec (CCE) naquit, il y a cinquante ans, ne se pose plus vraiment aujourd’hui. Le plus grand événement sportif organisé par des étudiants en Europe est désormais bien connu. Cette année, se tenait la 50e édition de la CCE, à Brest, l’occasion de revenir sur l’évolution de l’événement, et sur sa contribution au rayonnement de l’école de commerce lilloise.

« L’objectif de départ, pour être tout à fait honnête, c’était de faire de la voile ! » Jean-Luc Picot, cofondateur de la course se revoit dans son appartement étudiant en 1968, près de l’Ecole des hautes études commerciales (Edhec), à Lille. « On vivait tous les trois, avec Francis Prat et Pierre Jouannet [les deux autres fondateurs]. Francis connaissait la compétition de ski entre écoles de commerces organisée à ce moment-là par HEC. Alors on s’est dit “pourquoi ne pas faire la même chose avec la voile ?” » Les trois jeunes gens ont alors négocié auprès de leur école, qui, au départ, selon Jean-Luc Picot, n’était pas très enthousiaste. « Mais on a fini par dire la bonne phrase : Ça ne coûtera rien à l’école” ! » La première édition se tient à Dunkerque au début du mois de mai 1969. La course s’appelait alors « Edhec Business School Cup », sur l’affiche d’époque, elle est décrite comme une course entre les écoles de commerce européennes.

C’était effectivement une volonté des créateurs. « On n’était pas une parisienne, l’Edhec était 4e au classement, comme aujourd’hui, mais on pouvait être européenne ! » raconte Jean-Luc Picot. « Sauf que pour inviter des écoles allemandes sans parler allemand… Mais les profs de langues nous aidaient, j’ai encore les lettres qu’on avait envoyées aux écoles ! » Et de rappeler qu’il n’y avait alors « ni GSM ni TGV », tout se faisait à la machine à écrire. Mais la Course restait toujours à la pointe de la technologie : en 1989, l’association se dotait d’un serveur Minitel : 3615 CCEDHEC.

« Le professionnalisme de l’organisation est frappant »

Cinquante ans plus tard, la course a une autre allure. Samedi 28 avril au matin, dernier jour de la course, cinq anciens présidents et l’actuel se retrouvent sur un des pontons du port du Moulin Blanc. A l’occasion de cette 50e édition, les présidents de la première, de la dixième, de la vingtième, et ainsi de suite jusqu’au président actuel vont piloter ensemble un « bateau des anciens ». « C’est forcément très émouvant », confie Francis Prat. Jean-Luc Pico ajoute en souriant : « L’objectif, c’est surtout de ne pas gêner les autres, et puis c’est aussi très symbolique ! »

Aujourd’hui, le « village » s’étend sur 20 000 mètres carrés, des tentes blanches s’alignent : stands des sponsors et des partenaires, un grand barnum de kinésithérapeutes et d’ostéopathes venus soigner les trois mille participants, ainsi que l’indispensable buvette.

Martin Barbier, président de la 20e édition, qui fait les derniers réglages sur le bateau des anciens, se dit impressionné par ce village. « A notre époque, la course se cantonnait à la voile, il n’y avait rien d’autre pour les participants qui n’allaient pas en mer. Aujourd’hui c’est vraiment vivant, et ce qui est le plus frappant, c’est le professionnalisme de l’organisation. »

Cette professionnalisation d’une association étudiante, c’est justement un des principes fondateurs de la Course. Professionnelle d’abord, parce que la course a été reconnue très rapidement par la Fédération française de voile, qui chaque année participe à l’encadrement des épreuves. Et ensuite parce que les étudiants adoptent une attitude professionnelle pour organiser l’événement. « A 20 ans à peine, on a énormément de responsabilités, se rappelle Yoann Faivre, ancien organisateur. Maintenant qu’on est dans le monde professionnel, on sait qu’il s’écoulera quelques années avant qu’on puisse en avoir autant. » Cette année, l’association gérait un budget de 2,5 millions d’euros pour l’événement. Yoann Faivre explique que, contrairement à une situation d’entreprise, où on augmente le budget si les choses se passent bien, les étudiants ont avec la course une somme de départ, qu’ils doivent gérer eux-mêmes.

Les membres de l’association refusent de déléguer à des entreprises. Ce sont eux qui s’occupent de la construction du village, aidés par des bénévoles. « On pourrait engager une entreprise, raconte Christopher Cardasi, ancien organisateur qui gérait justement la logistique du village, mais on préfère le faire nous-mêmes, on veut garder la main là-dessus. » Samedi, dans le village, les vestes de matelot rouges, marquées d’un « organisation » dans le dos, s’affairent dans toutes les directions. Talkie-walkie qui grésille accroché au revers de la veste ou au gilet de sauvetage, les cinquante étudiants organisateurs butinent dans tous les sens comme dans une ruche.

Le recrutement même de l’association se passe comme celui d’une entreprise, explique Clément Courtiol, un autre ancien organisateur. « Il y a différentes étapes de recrutement, des entretiens, des essais, etc. » « Chaque deuxième année forme un première année, ajoute Marie Le Meur, responsable presse de seconde année. Au départ, on a une relation très professionnelle, je le forme donc je ne suis pas son amie… Après, au bout d’un an de préparation, au moment de la course, évidemment des liens se créent. » Dans le village, les vestes rouges des organisateurs sont partout.

« La course donne une image d’entreprenariat à l’école »

Outre ce passage de témoin entre « madre » ou « padre » et « fiston·ne », chaque année, une nouvelle équipe reprend les rênes et tente de renouveler cette course. En 1994, le Trophée Terre est créé pour proposer des activités sur terre, à la fois pour le reste de l’équipe qui ne va pas sur mer et également pour ouvrir la course auprès d’autres étudiants. « C’est une très bonne chose que la course se soit diversifiée, constate Jean-Luc Picot. Je respecte beaucoup le travail que les étudiants font chaque année, c’est très bien que de nouveaux trophées aient été créés, c’est grâce à ça, entre autres, que la course perdure. »

Pour d’autres membres ou ex-membres de l’association, la course participe au rayonnement de l’Edhec parce que les deux entités reposent l’une sur l’autre. Pour Martin Barbier, il est clair que « ce n’est pas la course qui a fait l’Edhec : déjà, à ce moment-là, l’Edhec était bien classée ». Christopher Cardasi parle, lui, de « symbiose, d’interdépendance ». « C’est mutuel, complète Clément Courtiol, l’Edhec soutient par exemple des négociations avec de nouveaux partenaires, et en même temps la Course donne une image d’entreprenariat à l’école, qui est plutôt réputée dans le domaine de la finance. » Nicolas Degroote, lui aussi ancien organisateur, se souvient que lors de l’édition à laquelle il avait participé, l’école avait noué un partenariat avec une école turque après que celle-ci eut été démarchée par des étudiants pour participer à la course. Selon ces anciens organisateurs, l’Edhec serait un élément de différenciation.

Difficile donc de déterminer en quoi la Course a contribué au rayonnement de l’Edhec. Jean-Luc Picot s’amuse à quelques calculs. « Si on compte soixante mille participants sur mer depuis cinquante ans, au total avec les autres participants, ça fait dans les deux cent cinquante mille. Si chacun en parle à quatre personnes de son entourage, alors on pourrait dire que près de un million de personnes ont entendu parler de la course. C’est peut-être un début de réponse… ? » Le cofondateur rejoint son équipage, qui prend la pose pour immortaliser ce moment. Cinq générations de présidents rassemblées sur un même bateau. Dernières vérifications à bord, avant de prendre le large.